Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/660

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coup il domina l’assemblée du Tiers-État qui, après annexion du ciergé et de la noblesse, devint l’Assemblée nationale.

Qu’y apportait-il ? Son éloquence vingt ans comprimée et qui pouvait enfin se donner carrière ; mais qu’y apportait-il comme programme ou plutôt comme doctrine ?

Mirabeau est royaliste, profondément et radicalement royaliste ; d’autant plus profondément, je crois pouvoir dire, qu’il ne l’est nullement d’une façon sentimentale. Il croit rationnellement, par méditation scientifique, qu’une France monarchique depuis dix siècles, dans une Europe en grande partie monarchique (quoiqu’il y eût plus de républiques en Europe à cette époque qu’à la nôtre), doit rester monarchique : « Je serai à l’Assemblée nationale (il l’appelle ainsi dès 1788) très zélé monarchique parce que je sens profondément combien nous avons besoin de tuer le despotisme ministériel et de relever l’autorité royale. » Il verrait dans la chute de la monarchie la chute même et l’engloutissement de la France : « Il s’agit de savoir (fin mai 1789) si la monarchie et le monarque survivront à la tempête qui se prépare ou si les fautes faites et celles qu’on ne manquera pas de faire encore nous engloutiront tous (avec eux). » — « Je serai (1790) ce que j’ai toujours été : le défenseur du pouvoir monarchique réglé par les lois et l’apôtre de la liberté garantie par le pouvoir monarchique... Sous l’ancien régime, l’autorité du Roi était incomplète, parce qu’elle n’était pas fondée sur les lois ; insuffisante, parce qu’elle tenait à la force publique plus qu’à l’opinion ; incertaine, parce qu’une révolution, toujours prête à éclater, était capable de le renverser. »

Et il est difficile de mieux marquer qu’une monarchie est précaire, surtout quand elle est absolue ; mais il est impossible aussi de mieux marquer à quel point l’on tient à la monarchie.

Il est monarchiste, mais il est anti-aristocrate de toutes les manières, et c’est surtout parce qu’il est anti-aristocrate qu’il est monarchiste.

Il a toutes les formes de l’anti-aristocratisme :

Il est, comme Voltaire, l’ennemi déclaré et acharné des Parlemens : quand le Parlement de Paris, dont il n’a pas oublié sans doute l’hostilité à l’égard de Turgot et de Necker, élabore en 1788 tout un programme de réformes, il déclare que « cela est bien fou pour [de la part de] un pouvoir judiciaire, » et un peu auparavant il avait écrit à M. de Montmorin : « Il serait bien