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A dîner, j’ai été assis à côté de Mme de Montjoie, dame d’honneur de Madame Adélaïde, femme très spirituelle, autrefois on ne peut plus aimable. Depuis quelques années, elle s’est jetée dans la haute piété et n’a plus autant de laisser aller dans la conversation. Le sentiment religieux bride un peu sa gaîté naturelle et la tendance légère de son esprit vers la critique. Néanmoins, il y a encore quelques étincelles de raillerie qui se font jour au milieu de l’humilité chrétienne et de la sévérité qu’elle exerce sur elle-même.

Le Duc d’Orléans était de ce dîner. Il venait d’arriver de Compiègne où il a passé tout le temps des manœuvres, où il a vu beaucoup de monde et d’où toutes les personnes qu’il a invitées à y passer quelques jours sont revenues enchantées de son accueil et de la manière dont il a fait les honneurs du château. Malheureusement pour nous, il avait laissé toute son amabilité à Compiègne ; il a été d’une humeur de chien ; il m’avoua que tout lui déplaisait à Fontainebleau, qu’il était horriblement fatigué et qu’il avait tellement peur de faire mauvaise figure au bal, qu’il se retirerait de très bonne heure pour ne pas paraître maussade. Pendant qu’il me parlait, la Reine écoutait et, pour lui être agréable, elle ordonna d’ouvrir le bal le plus tôt possible. M. Athalin lui fit observer que les invitées de la ville et des environs qui n’avaient pas l’honneur d’être connues de Leurs Majestés et qui devaient se réunir dans la salle de Henri II pour être présentées, n’étaient pas encore arrivées.

— Comment, ma mère, dit le Duc d’Orléans, vous invitez des personnes que vous ne connaissez pas ? Je n’ai pas fait cela à Compiègne et certes je ne l’aurais pas fait à Fontainebleau non plus si j’avais quelque chose à dire ici.

— Mais, mon cher Chartres, répondit la Reine, nous n’aurions pas eu assez de monde. Et puis, pourquoi ne pas faire des heureux lorsqu’on le peut ?

Je n’oublierai jamais l’effet magique qu’a produit sur nous la salle de Henri II au moment de notre entrée, cette vaste pièce, qui nous ramenait au temps de la Renaissance, avec ce superbe plafond en chêne admirablement sculpté, avec ses cadres octogones à caissons au fond desquels on voit le chiffre de Henri II et de Diane, avec ses huits grands panneaux et leurs accessoires peints par Nicolo sur les dessins du Primatice. Ce précieux morceau d’architecture tout resplendissant de la lumière des lustres,