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Ce discours fit quelque effet sur le petit prince ; il devint un peu rouge, mais il ne fit semblant de rien, tout en se hâtant pourtant de finir son plat de bœuf et ses pommes de terre. Voyant son assiette vide, il recommença de plus belle à causer, à bavarder comme une pie. Cependant, au beau milieu d’une grande et belle histoire, voilà encore son valet de chambre avec deux côtelettes de mouton : cette fois-ci, il interrompit sur-le-champ son discours et fît disparaître au plus vite ses deux côtelettes, puis il reprit sa conversation.

— Avez-vous entendu, me dit-il, tout le bruit qu’ont fait cette nuit les choristes des Italiens et de l’Opéra ?

— Pas le moins du monde, monseigneur.

— C’est que vous logez dans la cour des Princes et ils habitent dans la cour du Cheval-Blanc. Après la représentation, ils ont soupé copieusement et longuement jusqu’à trois heures du matin où ils ont de nouveau redemandé qu’on leur apportât du vin, ce à quoi on leur a répondu négativement en les invitant à aller se coucher. Loin de suivre cet avis, ils commencèrent à chanter et à danser des galops tout le long des corridors ; puis ils forcèrent la porte de l’office et prirent, au grand désespoir de l’officier, deux ananas destinés à la table du Roi. C’est l’officier qui m’a donné ce matin les détails du sabbat qu’ils ont fait et de la perte de ses ananas ; j’en ris beaucoup et je dis à l’officier que je n’avais qu’à le féliciter de la discrétion de ces messieurs, car deux ananas pour deux cent cinquante personnes, on ne saurait se contenter de moins !

Le soir, il y eut de nouveau grand spectacle ; on a donné le Philtre avec un petit ballet intercalé. Mlle Duvernet a dansé comme un ange. Puis les Italiens ont représenté le premier acte du Barbier de Séville et la prova d’un opera seria. Lablache, Rubini et la Grisi ont chanté avec la plus grande perfection.

Le lendemain matin, avant le déjeuner, au moment où nous nous trouvions réunis dans le salon de la Reine, le Roi me demanda si je n’avais pas vu le fantôme de Monaldeschi.

— Ce malheureux a été assassiné, me dit-il, à l’endroit même où se trouve votre lit.

Je répondis à Sa Majesté que j’avais trop bien dormi et que le fantôme probablement n’avait pas fait assez de bruit pour me réveiller.

— Chez vous et surtout en Allemagne, chaque vieux château