Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/650

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

répondre avec politesse, reconnaissance même, tandis qu’on en est impatienté au suprême degré. Rodolphe II et moi nous en avons été victimes avant et après le diner. Le Roi, la Reine, les princes et les princesses, les aides de camp, la Cour et la ville, enfin tous et chacun me demandèrent la même chose :

— Monsieur votre cousin ne se ressent pas de sa chute ?

Rodolphe II, moins accoutumé au monde que moi, s’en impatienta. L’habitude que j’ai acquise me donne plus de calme, je fais en ces occasions une mine touchée, je rassure tout le monde, bien que personne n’ait besoin d’être rassuré, et puis je finis d’ordinaire par une petite phrase de remerciement qui ne manque jamais d’être bien reçue.

Le Roi, outre la petite phrase obligée, gronda devant moi et à très haute voix M. Strada, son premier écuyer, en lui disant :

— Vous avez bien mal soigné ces messieurs, comte Strada : je vous avais cependant tout particulièrement recommandé les comtes Apponyi.

— Sire, je suis bien au regret de ce qui est arrivé au comte Rodolphe II, mais pour ma justification, je suis obligé de dire que le cheval que je lui avais donné est celui que la princesse Marie monte ordinairement. Malheureusement, aujourd’hui, les chevaux étaient tellement tourmentés par les mouches, excités par le bruit des tambours, des voitures, du monde réuni dans les cours que les plus doux étaient devenus indomptables.

J’appuyai ce que disait le comte Strada et fis mon possible pour l’excuser, sans toutefois taxer mon cousin de gaucherie, car notre conversation avait lieu devant toute la Cour. Puis on se tut, parce que le Roi parlait haut et avait l’air de vouloir être écouté par tout le monde.

J’ai donné le bras pour aller dîner à Mme de Rumigny ; je l’avais à table à ma droite, et comme le Duc de Montpensier m’avait prié de lui conserver sa place à côté de moi, il vint s’y placer accompagné du fils du maréchal Gérard qui prit place à sa gauche. Le Duc de Montpensier fut d’une humeur charmante et me raconta toutes sortes d’histoires merveilleuses, jusqu’à ce que son valet de chambre vînt lui dire à l’oreille, mais assez haut pourtant pour que j’aie pu l’entendre :

— Monsieur Tonton, voici du beefsteak. Mangez et ne parlez pas autant ; gardez vos histoires pour après, sans quoi je vous dénonce.