Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/636

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui ! Dans ce pays-ci, les femmes ont toujours eu et auront toujours une grande influence. Ni la Révolution de 1789, ni les hommes terribles qui ont mis à néant une monarchie de huit siècles, ni les Dantonistes, ni les Girondins, ni le triumvirat, ni la guillotine, ni les cachots, ni la loi n’ont pu ébranler ce pouvoir. Le sang versé par la Terreur teignait encore le pavé de Paris que déjà s’ouvraient les salons de Mme Récamier, de Mme de Staël et de la belle Mme Tallien ; Napoléon lui-même s’était mis sous le joug de l’aimable Joséphine de Beauharnais, et Louis XVIII, le monarque si distingué, si spirituel, se donnait autant et plus de peine pour écrire un billet doux que pour faire une loi : Mme Du Cayla pourrait facilement nous le prouver. Il n’est pas de pages dans l’Histoire de France où les femmes ne figurent. Il y en a de célèbres dans tous les siècles, depuis la Fronde jusqu’à nos jours ; ne doutez donc pas de la durée de leur règne. C’est vous, mesdames les grandes dames, qui avez régné jusqu’à présent. Si vous vous retirez, d’autres se mettront à votre place ; vous serez obligées d’obéir, tandis que vous pourriez commander.

— C’est peut-être vrai, cher comte, mais que voulez-vous faire avec une société qui ne parvient plus à s’entendre ? Voyez la duchesse de ***. Est-il possible de lui faire entendre raison ? Son éloquence d’autrefois n’est plus que du radotage aujourd’hui ; elle voudrait voir établie une Terreur royaliste ; elle voudrait qu’une moitié de la France égorgeât l’autre, voilà toute sa politique. Ses amies sont, pour la plupart tout aussi absurdes qu’elle, et celles qui voient les choses avec un peu plus de sang-froid, sont taxées comme moi de libérales. Vous en riez, comte, et vous avez raison, car cela ne me va guère d’être libérale ! Mais, que voulez-vous ! le monde est ainsi. Les mêmes personnes qui disent aujourd’hui que M. de Périgord est libéral, disaient sous Charles X qu’il était de la Congrégation.

Ces réflexions étaient si vraies que je n’ai rien trouvé à répondre.


9 octobre. — La Cour étant à Fontainebleau, nous avons été invités, l’ambassadeur, l’ambassadrice, leurs fils et moi, à y passer trois jours. Nous sommes partis de Paris vers onze heures du matin, l’ambassadrice, ses fils et une femme de chambre dans une grande berline, l’ambassadeur et moi dans un coupé.