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sa troupe venait d’être atteint au bras par une balle qui le lui fracassa ; le malheureux tombe évanoui. Pendant que M. de Rumigny donnait des ordres pour le faire transporter dans un hôpital, un petit monstre de quinze ans vint lui couper la tête et s’enfuit après.

— J’ai vu cette tête détachée du corps rouler dans le ruisseau, m’a dit M. de Rumigny.

Et sa figure exprimait toute l’horreur qu’il éprouvait encore en se rappelant cette scène. On a trouvé des poignards à barbes qui, en les retirant de la plaie, déchiraient tellement les chairs que de pareilles blessures étaient presque toujours mortelles.


3 mai. — Il y a deux jours, l’abbé de La Mennais nous a régalés d’un ouvrage de sa façon ; il est écrit avec une élégance, une élévation de style comparable à Bossuet, mais les principes qu’il y énonce, qu’il y professe, sont le républicanisme le plus affreux, le régicide, le renversement de tous les principes existans, au point qu’un des rédacteurs du National disait à Renduel, éditeur de l’ouvrage :

— Vous publiez un livre de M. de La Mennais dont, à ce qu’on prétend, les lettres brûlent les doigts de vos imprimeurs.

— Oui, monsieur, lui répondit Eugène Renduel, ils bondissent de joie en plaçant une lettre après l’autre d’un livre qui fera trembler les souverains sur leurs trônes ébranlés.

Le duc de Noailles arriva avant-hier à l’Abbaye-au-Bois chez Mme Récamier ; il avait dans sa poche ce livre intitulé : Les Paroles d’un croyant, et comme il fut question de M. de La Mennais, M. de Noailles donna lecture de plusieurs chapitres. Le vicomte de Chateaubriand et le duc de Laval écoutaient avec attention. Les deux ducs et Mme Récamier se récrièrent sur l’épouvantable tendance de ce livre. Chateaubriand n’en paraissait pas trop mécontent et se contenta de dire :

— C’est pourtant encore bien plus fort que tout ce que j’ai dit dans mon Avenir.

—. Oui certes, lui répondit M. de Laval, c’est bien plus fort encore ; mais permettez-moi de vous faire observer, cher vicomte, que M. de La Mennais n’a pas été, comme vous, ministre et ambassadeur, chargé sous Louis XVIII et sous Charles X de maintenir les droits de la couronne de saint Louis, et telle est la confiance qu’on a en vous et en vos principes monarchiques que