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scènes ; je lui ai répondu que je n’avais été que sur les boulevards jusqu’à la Porte Saint-Martin et que je n’avais pas poussé la curiosité jusqu’à m’embarquer dans les petites rues.

— Je n’ai pas suivi l’exemple de Votre Majesté, ai-je ajouté, et surtout pas celui du Duc d’Orléans. A mon avis, Son Altesse Royale a été un peu trop loin.

— Vous avez raison, comte Rodolphe ; je trouve moi-même que son courage l’a entraîné au delà de ce qui était nécessaire.

— C’est un brillant défaut pour un prince que d’avoir trop de courage.

— Oui, reprit le Roi, mais cela n’est pas moins un défaut.

Sa Majesté a bien voulu me dire encore qu’Elle venait de recevoir des nouvelles de Lyon, qui lui apprenaient que finalement tout était terminé et que la prise du dernier retranchement de l’insurrection avait été bien moins sanglante que tout ce qui l’avait précédée. C’était comme au siège de Saragosse ; chaque maison était transformée en forteresse ; les Républicains occupaient les croisées et les toits et, comme les maisons à Lyon sont de six à sept étages, aucun fusil ne portait jusque-là. Les soldats ont été obligés de monter sur les toits qui sont devenus ainsi le théâtre de combats sanglans. Il est même arrivé que les soldats, en voulant précipiter leurs ennemis du haut des combles, tombaient en même temps avec eux.

Ce qui s’est passé dans les églises fait frémir ; la troupe en a pris quatre d’assaut. Il y a eu des tués en grand nombre, voire des femmes et des enfans. Derrière les autels, dans les confessionnaux, le sang ruisselait ; tout fut détruit, renversé ; çà et là gisaient pêle-mêle des candélabres, des calices ; la lampe éternelle fut renversée, et l’huile se mêlait au sang des victimes., Les cadavres étaient ensevelis sons les décombres de colonnes et de statues brisées et sous le tas des aubes et autres ornemens d’église, déchirés et ensanglantés. Il a fallu déchirer les surplis afin d’avoir des bandages pour panser les blessés. Qu’on ajoute à ce tableau les cris de détresse et de vengeance, le son du tocsin, le bruit des canons et des fusils, les gémissemens des blessés, le râle des mourans, et il sera complet.

A notre émeute à Paris, le même acharnement, la même cruauté se sont manifestés ; on tuait des deux côtés autant qu’on pouvait. Le général de Rumigny, qui avait son commandement à la Bastille, m’a donné cet épouvantable détail : un soldat de