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en revue ses troupes sur la place Louis XV, après une victoire complète qu’elles ont remportée sur 1 500 malheureux républicains qui ont bien voulu se faire assommer, fusiller, pour le bon plaisir de leurs chefs. Il y a eu plus de soixante mille hommes sur pied dans Paris et, encore ce matin, on faisait venir des renforts de tous les côtés, entre autres tout le parc d’artillerie de Versailles qui est arrivé ici vers six heures.

Les chefs républicains ont dit qu’ils savaient très bien qu’ils ne pouvaient réussir, mais qu’il leur suffisait de forcer Louis-Philippe à baigner sa couronne dans le sang. C’est bel et bon pour les chefs qui ne prêtent pas le leur, mais pour les malheureux qu’ils font immoler, c’est tout différent ; aussi n’ont-ils pu réunir que quinze cents hommes de bonne volonté, et encore est-ce à force d’argent et de promesses.

Paris est tellement gardé que tout ce que la République peut tenter ici est et sera à pure perte. Ces jours derniers, en empoignant plusieurs des rédacteurs de la Tribune, on a trouvé un gouvernement provisoire tout arrangé. Cabet, Marrast, Carrel et compagnie y figurent, ce qui n’a étonné personne ; mais ce dont quelques personnes se sont indignées, c’est d’y trouver le nom de M. de Chateaubriand ; indignation sans cause, du reste, car c’est assurément sans son aveu qu’on l’a fait figurer sur cette liste.


15 avril. — Nous sommes allés hier porter nos félicitations à la Reine et au Roi ; il y avait beaucoup de monde : Mmes de Rambuteau, de Lobau, de Marmier, de Boigne, de Valençay, de Werther, lady Granville, plusieurs membres du corps diplomatique, puis le duc de Devonshire, qui ne comprenait pas un mot de ce que l’on disait. La Reine lui demanda en criant de toutes ses forces s’il venait de la Sicile et il répondit qu’il ne pouvait rester longtemps à Paris. Moi aussi, j’ai tenté une petite phrase, mais comme on ne peut crier dans le salon de la Reine, je ne suis pas parvenu à me faire entendre. J’ai eu pour réponse un sourire gracieux et un shake hand par-dessus le marché.

Parmi les personnes notables, il y avait encore M. Pasquier, président de la Chambre des Pairs, qui bientôt va jouer un grand rôle : on a décidé dans le Conseil que cette Chambre sera érigée en Cour de Justice, devant laquelle seront traduits les