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troupes sur les quais et nommément du côté de la Chambre des Députés, puis sur la place Bourbon et aux coins de notre rue et de la rue de Bourgogne. Sur la place Bellechasse, il y avait un grand bivouac qui faisait passablement peur aux personnes qui allaient chez Mme de Bellissen. Elle reçoit les dimanches et a eu une frayeur terrible, d’autant plus que l’officier qui commandait ce détachement est entré chez elle et lui a demandé la permission de faire une reconnaissance dans la cour et dans le jardin.

— En cas de retraite, lui a-t-il dit, je compte me jeter avec ma troupe dans votre hôtel, madame la marquise, car il me paraît le plus propice à une défense vigoureuse.

Le soir, la marquise a fait fermer sa grille ; les dames qui allaient la voir étaient obligées de descendre et de traverser la cour à pied.

— C’est pour avoir de la place pour les soldats, nous a dit la marquise, avec inquiétude.

Le marquis était en bottes, avec un pantalon gris, espèce de costume de voyage ; cela nous a fait rire et nous nous disions qu’il était en petit costume d’émeute. Au surplus, on n’avait, pour nous recevoir, ouvert qu’un seul salon où il y avait une telle presse, une si forte chaleur, que c’était à n’y pas tenir.

Ce matin, j’ai parlé à quelqu’un, qui venait précisément du théâtre de la guerre. On tirait beaucoup, mais seulement avec des fusils. Les soldats du Roi fusillaient tout ce qu’ils prenaient. Un des républicains, qui venait de blesser un garde national, a été poursuivi par un détachement de la ligne ; il courait du côté du pont Notre-Dame. Se voyant cerné de près, il se précipita dans la Seine pour se sauver à la nage, mais il y trouva la mort. On a tiré sur lui plus de soixante coups de fusil. Enfin, il disparut, atteint de plusieurs balles.

A l’heure qu’il est, on se bat encore, le Roi est à l’Hôtel de Ville, on ne sait pas trop ce qu’il compte y faire. Si c’est un nouveau programme, il sera conçu dans d’autres termes que le premier. On a tiré dans la rue Saint-Denis sur le prince royal. On prétend que des agens de police avaient été payés pour cela et qu’on n’a tiré sur lui qu’avec de la poudre. On a visité de la cave au grenier la maison d’où, disait-on, les coups étaient partis. Mais on n’y a trouvé personne de suspect, ce qui n’a pas empêché d’y sabrer ferme.

Il est une heure, et l’on vient de me dire que le Roi passait