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les deux orateurs. La basilique était comble. Alors, Augustin se tournant vers le donatiste impénitent, lui dit avec douceur :

— Eméritus, mon frère, vous êtes ici présent. Vous avez assisté à notre Conférence de Carthage. Si vous y avez été vaincu, pourquoi donc venez-vous ici, en ce moment ? Si, au contraire, vous pensez n’avoir point été vaincu, dites-nous ce qui vous a fait croire que vous avez eu l’avantage !...

Que s’était-il passé, depuis l’avant-veille, dans l’esprit d’Eméritus ? Toujours est-il qu’il trompa l’espoir d’Augustin et du peuple de Césarée. Aux invitations les plus fraternelles et les plus pressantes, il ne répondit que par des phrases évasives. Finalement, il se renferma dans un mutisme farouche, dont il fut impossible de le faire sortir.

Augustin s’en retourna sans avoir converti l’hérétique. Ce lui fut sans doute une déception douloureuse. Il n’en montra néanmoins aucun ressentiment : il s’occupa même de pourvoir à la sûreté du réfractaire, dans la crainte charitable que le peuple ameuté ne lui fit subir quelque avanie. Pourtant, quand il songeait aux résultats obtenus depuis bientôt trente ans qu’il luttait contre le schisme, il pouvait se rendre ce témoignage qu’il avait bien travaillé pour l’Église. Le donatisme, en somme, était vaincu, et vaincu par lui... Allait-il pouvoir enfin se reposer, du seul repos qui convint à une âme de sa sorte, dans la méditation et l’étude assidue des Écritures ? Pourrait-il, désormais, vivre un peu moins en évêque et un peu plus en moine ? C’était toujours le vœu ardent de son cœur...

Mais, à Hippone, de nouvelles et de pires épreuves l’attendaient.


LOUIS BERTRAND.