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— ou, comme elle s’appelait alors, de Césarée de Maurétanie, — un des plus obstinés parmi les réfractaires. Son attitude vis-à-vis de cet ennemi irréconciliable fut non seulement humaine, mais courtoise, pleine de bonne grâce et de la plus délicate charité.

Ceci se passait à l’automne de 418, sept ans après la grande Conférence de Carthage. Augustin avait soixante-quatre ans. Comment, à cet âge, lui dont la santé était toujours si chancelante, entreprit-il ce long voyage d’Hippone à Césarée ? Nous savons que le pape Zozime l’avait chargé d’une mission auprès de l’église de cette ville. Avec son zèle infatigable, toujours prêt à marcher pour la gloire du Christ, le vieil évêque vit sans doute dans ce voyage une nouvelle occasion d’apostolat. Il se mit donc en route, malgré les chemins peu sûrs, en ces temps si troublés, malgré les chaleurs accablantes de la saison (on était à la fin de septembre). Il parcourut deux cents lieues à travers l’interminable plaine numide et les régions montagneuses de l’Atlas, prêchant dans les églises, s’arrêtant dans les villes et les bourgades, pour régler des questions d’intérêt, poursuivi sans cesse par mille tracas d’affaires et par les criailleries des plaideurs et des mécontens. Enfin, après plusieurs semaines de fatigues et de tribulations, il arriva à Cherchell, où il fut l’hôte de Deutérius, métropolitain de Maurétanie.

Or, Eméritus, l’évêque dépossédé, vivait mystérieusement dans la banlieue, redoutant toujours quelque coup de force des autorités. Quand il sut les intentions bienveillantes d’Augustin, il sortit de sa cachette et se montra en ville. Les deux prélats se croisèrent sur une des places de Césarée. Augustin, qui l’avait vu autrefois à Carthage, le reconnut, vola au-devant de lui, le salua, et, tout de suite, il lui proposa de causer amicalement :

— Entrons à l’église ! dit-il : cette place n’est guère convenable pour un entretien entre deux évêques.

Flatté, Eméritus, y consentit. La conversation se poursuivit sur un ton si cordial, qu’Augustin se réjouissait déjà d’avoir reconquis le schismatique. Deutérius, suivant la ligne de conduite adoptée par les évêques catholiques, parlait de se démettre et de lui restituer son siège. Il était entendu que, le surlendemain, Eméritus accepterait une discussion publique, dans la cathédrale, avec son collègue d’Hippone. Il fut exact au rendez-vous. Un grand concours de peuple se pressait pour entendre