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prédication et la controverse. Mais, comme c’était à prévoir, il n’abusa point de son triomphe. Tout de suite, il s’appliqua à prêcher la modération aux vainqueurs. Il n’avait pas attendu pour cela la défaite de l’ennemi. Déjà, dix ans plus tôt, alors que les donatistes traquaient partout les catholiques, il disait aux prêtres de sa communion :

— « Mes frères, retenez bien ceci pour le pratiquer et le prêcher avec une imperturbable douceur : aimez les hommes, tuez le mensonge ! Reposez-vous sur la vérité sans orgueil, combattez pour elle sans cruauté ! Priez pour ceux que vous reprenez et à qui vous montrez leur erreur ! »

Cependant la victoire du parti de la paix n’était pas aussi complète qu’on aurait pu le croire d’abord. Çà et là, bien des fanatiques s’obstinaient dans leur résistance. Les circoncellions, exaspérés, se signalaient par une recrudescence de folies et d’atrocités. Ils torturaient et mutilaient les catholiques qu’ils pouvaient saisir. Raffinement de cruauté encore inédit, ils remplissaient les yeux de leurs victimes avec de la chaux et ils y versaient du vinaigre. Dans les environs d’Hippone, le prêtre Restitutus fut assassiné. Un évêque eut la langue et la main coupées. Si les villes étaient à peu près tranquilles, la terreur recommençait à régner dans les campagnes.

Les autorités romaines s’efforçaient de mettre un terme à ces brigandages. Quand elles parvenaient à les capturer, elles châtiaient durement les coupables. Augustin, dans sa charité, intercédait pour eux auprès des juges. Il écrivait au tribun Marcellinus :

« Nous ne voulons pas que des serviteurs de Dieu soient vengés par des supplices semblables à ceux qu’on leur a fait souffrir. Nous ne nous opposons point à ce qu’on enlève à des coupables le moyen de mal faire, mais nous croyons qu’il suffira, sans leur ôter la vie, ni les priver d’aucun membre, de les détourner de leur agitation insensée par la répression des lois, en les ramenant au calme de la raison, ou enfin d’empêcher leurs œuvres criminelles, en les employant à quelque ouvrage utile... Remplissez en cette circonstance, juge chrétien, le devoir d’un père, et, tout en réprimant l’injustice, n’oubliez pas l’humanité... »

Cette mansuétude d’Augustin se manifesta particulièrement dans sa rencontre avec Eméritus, l’évêque donatiste de Cherchell,