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qui disait aux enquêteurs, avec une astucieuse naïveté :

— « Je suis professeur de littérature romaine, grammairien latin. Mon père a été décurion à Constantine, mon aïeul était soldat et avait servi dans la garde. Notre famille est de sang maure... Moi, j’ignore l’origine du schisme : je suis un fidèle quelconque dans le peuple des chrétiens. Comme j’étais à Carthage, l’évêque Secundus y vint un jour. On trouva, dit-on, que l’évêque Cæclianus avait été ordonné irrégulièrement par je ne sais qui, et on élut contre lui un autre évêque. C’est ainsi qu’à Carthage commença le schisme. Je ne puis bien connaître l’origine du schisme parce que notre cité n’a toujours eu qu’une seule Église. S’il y a eu un schisme, nous n’en savons rien du tout... »

Quand un grammairien s’exprimait ainsi, que pouvaient bien penser les colons, les artisans et les esclaves ? Ils faisaient partie d’un domaine ou d’un quartier, où l’on n’avait jamais professé d’autre foi que la leur. Ils étaient donatistes comme leurs patrons, ou leurs voisins, comme les gens du çof auquel ils appartenaient de père en fils. Le côté théologique de la querelle les laissait tout à fait indifférens. Si Augustin essayait de discuter avec eux, ils refusaient de l’entendre et le renvoyaient à leurs évêques. C’était un mot d’ordre.

De leur côté, les évêques se dérobaient à toute discussion. Augustin tenta vainement d’avoir une conférence avec son collègue donatiste d’Hippone, Proculeianus. Si quelques-uns se montraient de meilleure composition, les réticences, les échappatoires de l’adversaire, quelquefois des circonstances fortuites rendaient la dispute complètement vaine. A Thubursicum, les assistans firent un tel bruit dans le local où Augustin conférait avec l’évêque Fortunius, qu’on ne pouvait plus s’entendre. D’autres fois, l’entretien dégénérait en tournoi oratoire, où l’on s’épuisait à ferrailler contre des mots, au lieu de s’attaquer au fond des choses. Augustin sentait qu’il y perdait son temps. Les évêques donatistes lui opposaient d’ailleurs une obstination contre laquelle tout venait se briser :

— Laissez-nous dans nos erreurs, disaient-ils ironiquement. Si nous sommes perdus à vos yeux, pourquoi nous cherchez-vous ? Nous ne voulons pas être sauvés !...

Et ils défendaient à leurs ouailles de saluer les catholiques, de leur adresser la parole, d’entrer dans leurs églises ou dans