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chrétiens. La foi, sans l’amour, est une foi inagissante, une foi morte !...

Augustin devinait aussi les conséquences de la séparation spirituelle : il les avait déjà sous les yeux. L’Église est la grande source non seulement de l’amour, mais aussi de l’intelligence. Coupé de cette source vivifiante, le donatisme allait se dessécher et se rabougrir comme un rameau détaché de l’arbre. Le sens profond de ses dogmes allait s’appauvrir, en même temps que ses œuvres se vidaient de l’esprit de charité. Entêtement, étroitesse, inintelligence, fanatisme et cruauté, voilà les fruits inévitables du schisme. Augustin connaissait la rudesse et l’ignorance de ses adversaires, — même des plus lettrés d’entre eux : il pouvait se demander avec angoisse ce que deviendrait l’Église d’Afrique privée du bienfait de la culture romaine, isolée de ce grand courant intellectuel qui réunissait toutes les Églises d’outre-mer. Enfin, il connaissait ses compatriotes ; il savait que les donatistes, même vainqueurs, même seuls maîtres du pays, tourneraient contre eux la fureur qu’ils assouvissaient contre les catholiques, et qu’ils ne cesseraient point de s’entredéchirer. Voilà près de cent ans qu’ils mettaient l’Afrique à feu et à sang. C’était, à bref délai, le retour à la barbarie. Séparés du catholicisme, ils se sépareraient en réalité de l’Empire et même de la civilisation. Et c’est ainsi qu’en combattant pour l’unité catholique, Augustin combattit pour l’Empire et pour la civilisation.

En face de ces barbares et de ces sectaires, son attitude ne pouvait être, un seul instant, douteuse. Il devait s’efforcer de les ramener à l’Église. Restait à examiner les moyens les plus efficaces.

Pour un orateur comme lui, la prédication pouvait être une arme excellente. Son éloquence, sa dialectique, son érudition profane et sacrée lui donnaient une supériorité énorme sur les apologistes du parti adverse. Il retint certainement dans l’Église beaucoup de catholiques, qui étaient prêts à l’apostasie. Mais, devant la multitude des schismatiques, tous ces beaux dons étaient à peu près perdus. Le peuple ne s’inquiétait nullement d’apprendre de quel côté se trouvait la vérité. Ils étaient donatistes, comme ils étaient Numides ou Carthaginois, sans savoir pourquoi, parce que tout le monde l’était autour d’eux. Beaucoup auraient pu répondre comme ce grammairien de Constantine,