Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/554

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les donatistes. C’était, en effet, une vieille tradition africaine, admise par saint Cyprien lui-même, qu’un prêtre indigne ne saurait administrer les sacremens. Le préjugé local ne céda point : on rebaptisa tous ceux qui l’avaient été par des catholiques, c’est-à-dire par les partisans des traditeurs.

Mais la question théologique se compliquait d’une question matérielle à peu près insoluble. Puisqu’ils étaient résolus à se séparer de la communion catholique, les évêques donatistes allaient-ils abandonner, avec leur titre, leurs basiliques et les biens de leurs Églises ? En admettant qu’ils fussent désintéressés, il y avait, derrière eux, la foule des cliens et des colons qui tiraient leur subsistance de l’Église, qui vivaient sur ses domaines. Jamais ces gens-là ne permettraient qu’un parti rival détournât les aumônes, s’installât sur leurs terres et dans leurs gourbis, les expulsât de leurs cimetières et de leurs basiliques. D’autres raisons, peut-être encore plus profondes, amenaient les donatistes à persévérer dans le schisme. Ces dissensions religieuses flattaient le vieil esprit de division, qui, à toutes les époques, a été le mauvais génie de l’Afrique. L’Africain a toujours éprouvé le besoin de s’isoler en çofs ennemis les uns des autres. On se déteste d’un village à l’autre, — pour rien, pour le plaisir de se haïr et de s’assommer mutuellement.

Au fond, voilà tout le donatisme : c’est un accès suraigu d’individualisme africain. Ces révoltés n’ont rien innové en matière de dogme. Ils n’eussent même pas été des hérétiques, sans leur prétention à rebaptiser. Ils se bornaient à conserver une position depuis longtemps acquise, à garder leurs églises et leurs propriétés, ou à prendre celles des catholiques, sous prétexte qu’ils en étaient eux-mêmes les possesseurs légitimes. Avec cela, ils affectaient un respect de la tradition, une austérité dans les mœurs et la discipline, qui en faisaient de véritables puritains. Oui, ils étaient les purs, les intransigeans, qui, seuls, n’avaient pas plié devant les fonctionnaires romains. Tout cela plaisait fort aux mécontens et aux brouillons, caressait l’instinct populaire dans ses tendances au particularisme.

C’est pourquoi la secte devint peu à peu maîtresse de presque tout le pays. Puis, elle se subdivisa, s’émietta en petites Églises, qui s’excommuniaient ; les unes les autres. Dans le Sud de la Numidie, Thimgad et Bagaï étaient les citadelles du donatisme orthodoxe, si l’on peut dire. Carthage, avec son primat, en était