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— Oui, je me ferai donatiste, et je boirai ton sang !

En effet, le jeune bandit passa au parti de Donat. Comme c’était la coutume des hérétiques, il fut rebaptisé solennellement dans leur basilique, et il s’exhiba sur la tribune, revêtu de la robe blanche des purifiés. Le scandale fut grand dans Hippone. Augustin, indigné, fit adresser des représentations à Proculeianus, l’évêque donatiste : « Quoi ? Cet homme, ensanglanté d’un meurtre dans sa conscience, allait se promener pendant huit jours, en habits blancs, comme un modèle d’innocence et de pureté !... » Mais Proculeianus ne daigna pas répondre.

Ces procédés cyniques étaient peu de chose au prix des vexations que les donatistes infligeaient quotidiennement à leurs adversaires. Non seulement, on débauchait les ouailles d’Augustin, mais les colons de l’église catholique étaient sans cesse molestés sur leurs domaines, pillés, rançonnés, incendiés par des bandes de brigands fanatiques, qui, d’un bout à l’autre de la Numidie, organisaient la terreur. Soutenus secrètement par les donatistes, ils s’intitulaient eux-mêmes : « Les athlètes du Christ. » Les catholiques leur avaient donné le nom injurieux de « circoncellions, » ou rôdeurs de celliers, parce qu’ils avaient l’habitude de mettre à sac les caves et les greniers. Des troupes de femmes hystériques et fanatisées s’étaient jointes à eux, courant les campagnes comme de véritables bacchantes, déchirant les malheureux qui tombaient entre leurs mains, brûlant les fermes et les récoltes, lâchant les tonneaux de vin et d’huile, et couronnant ces exploits par des orgies avec « les athlètes du Christ. » Quand ils voyaient flamber une meule dans la campagne, les colons s’affolaient : les circoncellions n’étaient pas loin. Bientôt, ils surgissaient, brandissant leurs matraques et poussant leur cri de guerre : « Deo laudes ! Louange à Dieu ! » — « Votre cri, leur disait Augustin, est plus redouté des nôtres que le rugissement des lions. »

Il fallait bien se défendre contre ces bêtes féroces, résister aux empiétemens et aux coups de force des hérétiques. Ceux-ci, pour intimider les évêques catholiques, leur déclaraient brutalement :

— Nous n’entendons point discuter avec vous, et nous voulons rebaptiser à notre guise. Nous voulons tendre des pièges à vos brebis et les déchirer comme des loups. Pour vous, si vous êtes de bons bergers, taisez-vous !