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de conscience se posaient continuellement pour les chrétiens rigides : par exemple, un homme, qui a répudié sa femme sous prétexte d’adultère, peut-il en épouser une autre ? Augustin professait que le mariage est indissoluble, tant que les deux conjoints sont vivans. Mais cet empêchement n’excitera-t-il pas les maris à tuer leurs femmes adultères, afin de pouvoir contracter un nouveau mariage ? Autre embarras : un catéchumène divorcé sous la loi païenne, et remarié depuis, se présente au baptême. N’est-il pas adultère aux yeux de l’Église ? Un homme qui vit avec une courtisane, et qui ne le cache pas, qui avoue même son intention de continuer ce concubinage, peut-il être admis au baptême ? Augustin doit répondre à toutes ces questions, descendre dans les plus petits détails de la casuistique.

Est-il défendu, même quand on meurt de faim, de manger des viandes consacrées aux idoles ? Peut-on passer des traités avec des chameliers ou des convoyeurs indigènes, qui jurent par leurs dieux d’observer le contrat ? Peut-on mentir en de certaines circonstances ?... Pour pénétrer chez les hérétiques, en feignant d’être un des leurs, et, ainsi, pouvoir les espionner et les dénoncer ?... Peut-on consentir à l’adultère avec une femme qui vous promet, en échange, de vous dénoncer des hérétiques ?... L’évêque d’Hippone proscrit sévèrement tous ces moyens louches ou honteux, toutes ces compromissions contraires à la pure morale évangélique, mais sans affectation d’intransigeance et de rigorisme, en rappelant que la malice du péché consiste uniquement dans l’intention et dans le consentement de la volonté. Enfin, il faut tolérer ou subir ce qu’on est impuissant à empêcher.

D’autres questions, qu’il est impossible de rapporter, nous donnent une singulière idée de la corruption des mœurs païennes. Augustin avait fort à faire de maintenir l’observance chrétienne dans un milieu pareil, où les chrétiens eux-mêmes étaient plus ou moins contaminés de paganisme. Mais si le troupeau des pécheurs ou des tièdes était malaisé à conduire, celui des dévots l’était peut-être davantage. Il y avait les continens, les veufs ou les veuves qui avaient fait vœu de chasteté et à qui ce vœu pesait ; les vierges consacrées, qui vivaient d’une façon trop mondaine ; les religieuses qui se rebellaient contre leur directeur ou leur supérieure ; les moines, anciens esclaves qui ne voulaient plus travailler, ou charlatans, qui exploitaient la crédulité