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ceux qui nous écoutent. Est-ce que la pensée de lui amener des disciples ne suffira pas à nous rendre joyeux ?

L’évêque Augustin donnait l’exemple à ses prêtres. C’était peu d’avoir préparé la conversion de ses catéchumènes, avec cette finesse de psychologue, cette charité toute chrétienne : il les accompagnait jusqu’au bout et les exhortait encore devant la piscine baptismale.

Comme il est changé ! On songe au convive de Romanianus et de Manlius Théodore, au jeune homme qui suivait les chasses de Thagaste et qui dissertait de littérature et de philosophie, pour des auditeurs de choix, devant les beaux horizons du lac de Côme. Le voilà avec des paysans, des esclaves, des marins et des marchands. Et il se plaît en leur société. C’est son troupeau. Il doit le chérir de toute son âme, en Jésus-Christ. Quel effort et quelle victoire sur lui-même une attitude si nouvelle nous représente ! Car, en vérité, cet amour des humbles ne lui était point naturel. Il dut y mettre une volonté héroïque, aidée par la Grâce.

Une abnégation pareille se trahit chez le directeur de consciences qu’il devint. En cela, il était obligé de se donner plus complètement. Il était à la merci des âmes qui l’interrogeaient, qui le consultaient comme leur médecin. Il s’emploie à les conseiller et, sans relâche, à faire la police des mœurs. Entreprise presque décourageante que de plier des païens endurcis, des Africains surtout, à la discipline chrétienne. Continuellement, Augustin leur reproche leur ivrognerie, leur goinfrerie, leur luxure. Les gens du peuple n’étaient pas les seuls à s’enivrer et à faire bombance. Les riches, dans leurs festins, se crevaient littéralement de mangeaille. L’évêque d’Hippone ne manque pas une occasion de les rappeler à la sobriété.

Plus fréquemment, il les rappelle à la chasteté. Il écrit, à ce sujet, de longues lettres, qui sont de véritables traités. Les mœurs du temps et du pays s’y révèlent à plein. On y voit que les maris réclamaient hautement pour eux le droit à l’amour libre, tandis qu’ils contraignaient leurs femmes à la fidélité conjugale. Ils punissaient de mort l’adultère, qu’ils se permettaient à eux-mêmes. Ils abusaient du divorce. Sur un motif des plus futiles, ils envoyaient à l’épouse le libellus repudii, le billet de répudiation, comme cela se pratique encore chez les peuples de l’Islam. Dans cette société en pleine transformation, des cas