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à ses diacres le soin du menu peuple de Dieu. Tous avaient droit à ses leçons, aussi bien les simples paysans que les riches et les lettrés. Un jour, un colon, qu’il endoctrinait, le planta là au milieu de son discours. Le pauvre homme, qui avait jeûné et qui écoutait, debout, son évêque, mourait de faim et sentait ses jambes fléchir : il aima mieux s’enfuir que de tomber d’inanition aux pieds du savant prédicateur.

Avec son expérience des hommes, Augustin s’enquérait soigneusement de la qualité de ses catéchumènes, adaptant ses exhortations au caractère de chacun. S’agit-il de citadins, de Carthaginois, habitués à vivre au théâtre et dans les tavernes, ivrognes et paresseux, il leur parle autrement qu’à des rustres, qui n’ont jamais quitté le gourbi natal. S’il a affaire à des gens du monde, ayant le goût des lettres, il n’omet point de leur vanter les beautés de l’Écriture, quoique, dit-il, ce soit là un faible mérite au prix des vérités qu’elle renferme. Les plus difficiles, les plus redoutables, à ses yeux, de tous les catéchumènes, ce sont les professeurs, — les rhéteurs et les grammairiens. Ces gens-là sont tout gonflés de vanité, tout bouffis d’orgueil intellectuel (Augustin en savait quelque chose). Il faudra les secouer fortement, et, d’abord, leur prêcher l’humilité de l’esprit.

Le bon saint va plus loin. Il ne s’inquiète pas seulement des âmes, mais aussi des corps de ses auditeurs. Sont-ils à leur aise pour l’écouter ? Dès qu’on les sent fatigués, qu’on n’hésite point à les faire asseoir, comme cela se pratique dans les basiliques d’outre-mer :

« Notre arrogance serait-elle supportable, dit-il, si nous empêchions de s’asseoir en notre présence des hommes qui sont nos frères, et, encore plus, des hommes que nous devons nous efforcer, avec toute la sollicitude possible, de rendre nos frères ?… »

Si l’on s’aperçoit qu’ils bâillent, » il sied de leur dire des choses qui réveillent leur attention, ou qui dissipent les pensées tristes, qui auraient pu s’emparer de leur esprit. » Le catéchiste doit montrer tantôt une joie calme, — la joie de la certitude, — tantôt une allégresse qui entraine la conviction, toujours « cette gaîté du cœur que nous devons avoir en instruisant. » Même si nous sommes tristes, nous aussi, pour une raison ou pour une autre, rappelons-nous que Jésus-Christ est mort pour