Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/540

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exégèses allégoriques nous rebutent par leur excessive subtilité, quelquefois par leur mauvais goût, et, quand il s’en tient à la lettre de son texte, il tombe dans des minuties grammaticales qui lassent l’attention. Nous ne le suivons plus. Nous trouvons que son auditoire était bien complaisant d’écouter si longtemps, — et debout, — ces interminables dissertations... Et puis, tout à coup, un grand mouvement oratoire et lyrique nous emporte, un vent qui souffle des hautes montagnes et qui balaie, en un clin d’œil, comme une poussière, tous ces raisonnemens ténus.

Il y a des lieux communs qu’il affectionne et aussi tel livre de l’Écriture, par exemple le Cantique des Cantiques et l’Évangile de saint Jean, l’un qui satisfait, en lui, l’intellectuel, l’autre, le mystique de l’amour. Il confronte le verset du psaume : « Je t’ai engendré avant l’étoile du matin » avec le début sublime du quatrième Évangile : « Au commencement, était le Verbe. » Il ne tarit pas sur la beauté du Christ : « Speciosus forma præ filiis hominum. Tu surpasses en beauté les plus beaux des enfans des hommes. » C’est pourquoi il redit sans cesse, avec le Psalmiste : « Seigneur, j’ai cherché à voir ton visage. Quæsivi vultum tuum, Domine ! » Et l’orateur, transporté d’enthousiasme, d’ajouter : « Magnifique parole ! Rien ne pouvait être dit de plus divin. Ceux-là le sentent, qui aiment véritablement. » — Un autre de ces thèmes favoris, c’est la douceur de Dieu : « Videte et gustate quam mitis sit Dominus. Voyez et goûtez combien le Seigneur est doux ! » Rien n’égale la volupté de cette contemplation, de cette vie en Dieu. Augustin la conçoit en musicien qui a pénétré le secret des nombres : « Que votre vie, dit-il, soit un chant ininterrompu !... Nous ne chantons pas seulement de la voix et des lèvres, quand nous modulons un cantique ; mais il y a, en nous, un chant intérieur, parce qu’il y a aussi, en nous. Quelqu’un qui écoute... »

Pour vivre de cette vie harmonieuse et divine, il faut sortir de soi, il faut se livrer tout entier, dans un grand élan de charité :

— « Pourquoi, s’écrie-t-il, pourquoi hésitez-vous à vous donner, par crainte de vous perdre ? C’est, au contraire, en ne vous donnant point que vous vous perdez. La Charité elle-même vous parle par la bouche de la Sagesse et vous rassure contre la terreur que vous inspire cette parole : « Donnez-vous vous-même ! »