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— « Tous les chrétiens sont les serviteurs du même maître... J’ai été à la place où vous êtes, vous qui m’écoutez ! Et, maintenant, si, du haut de cette chaire, je distribue le pain céleste aux serviteurs de notre commun Maître, — il y a quelques années seulement, je recevais avec eux, dans une place inférieure, cette nourriture spirituelle. Evêque, je parle à des laïques, mais je sais à combien de futurs évêques je parle !... »

Par l’accent fraternel de sa parole, il se met donc de plain-pied avec son auditoire. Ce n’est point à la chrétienté, à l’Église universelle, ou à je ne sais quel auditeur abstrait, qu’il s’adresse, mais à des Africains, à des gens d’Hippone, à des paroissiens de la Basilique de la Paix. Il sait les allusions, les comparaisons tirées des coutumes locales, qui pourront frapper leur esprit. Le jour de la fête de sainte Crispina, une martyre du pays, ayant développé trop copieusement son homélie, il en demande pardon en ces termes :

— « Imaginez, mes frères, que je vous aie conviés à célébrer le jour de la naissance de la bienheureuse Crispina et que j’aie prolongé le festin outre mesure. La même chose ne pouvait-elle pas vous arriver, si quelque militaire vous eût invités à dîner et qu’il vous eût obligés à « boire plus que de raison ? Laissez-moi en faire autant pour la parole de Dieu, dont il faut que vous soyez enivrés et rassasiés ! »

Comme les banquets de naissance, les mariages fournissent à l’orateur de vivantes allégories. Ainsi, dit-il, quand une noce se célèbre dans une maison, des orgues jouent devant le seuil, des musiciens et des danseurs se mettent à chanter et à mimer leurs chants. Quelle misère pourtant que ces réjouissances terrestres, si vite passées ! «... Dans la maison de Dieu, la fête est continuelle ! »

Sans cesse, à travers les commentaires des psaumes, surgissent des comparaisons pareilles, des paraboles capables d’émouvoir des imaginations africaines. Mille détails empruntés aux mœurs locales, à la vie journalière, animent les exégèses de l’évêque d’Hippone. Les mulets et les chevaux, qui ruent quand on leur administre un remède, symbolisent, pour lui, les donatistes récalcitrans. Les petits ânes têtus et malins, qui trottent dans les ruelles étroites des casbahs algériennes, se montrent çà et là, dans ses sermons. On y sent la piqûre des moustiques. Les mouches insupportables se collent, en plaques grouillantes,