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théâtre ou au cirque. On applaudit, on interrompt le prédicateur. Certains lui posent des objections, lui citent des passages de la Bible.

Augustin est ainsi en perpétuelle communication avec son auditoire. Personne n’a moins plané que lui. Il épie les jeux de physionomie, les gestes de son public. Il lui parle familièrement. Lorsque son sermon s’est un peu prolongé, il s’inquiète de savoir si ses auditeurs sont fatigués : il les a tenus debout si longtemps ! L’heure du déjeuner approche. Les ventres sont à jeun, les estomacs sont impatiens. Alors, il leur dit avec une bonhomie affectueuse :

— « Allez, mes très chers, allez réparer vos forces, je ne dis pas celles de vos esprits, car je vois qu’ils sont infatigables, mais celles de vos corps, qui sont les serviteurs de vos âmes. Pour qu’il remplissent bien leur office, allez donc refaire vos corps, et, quand ils seront refaits, revenez ici prendre votre nourriture spirituelle.

À de certains jours, un coup de sirocco a passé sur la ville. Les fidèles, pressés dans les nefs, étouffent, sont tout en sueur. Le prédicateur lui-même, qui s’est fort échauffé, a la face ruisselante, ses vêtemens sont trempés. À ce signe, il reconnaît qu’il a été encore une fois bien long. Il s’en excuse modestement. Ou bien, il plaisante, en rude apôtre, que ne rebutent point les émanations d’une foule entassée :

— « Ah ! dit-il, quelle odeur ! J’ai dû parler longtemps aujourd’hui ! »

Ces façons débonnaires lui conquéraient les cœurs des simples gens qui l’écoutaient. Il a conscience du charme qu’il exerce sur eux, et de la sympathie qu’ils lui rendent, en remerciement de sa charité :

— « Mes frères, leur dit-il, vous avez aimé à venir m’entendre. Mais qu’avez-vous aimé ? Si c’est moi, cela même est bien, car je veux être aimé de vous, si je ne veux pas être aimé pour moi-même. Moi, je vous aime dans le Christ. À votre tour, aimez-moi en Lui ! Que notre mutuel amour gémisse de concert vers Dieu, — et c’est cela qui est le gémissement de la Colombe, dont parle l’Écriture !… »

Bien qu’il prêche du haut de son siège épiscopal, il tient à ce que ses ouailles le considèrent, chrétiennement, comme leur égal. Il se montre aussi peu évêque que possible :