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entre clercs et entre laïcs ne pouvaient être équitablement jugés par des civils qui étaient, très souvent, des païens. Et, d’ailleurs, les parties se réclamaient de principes théologiques ou de lois religieuses que l’arbitre ignorait la plupart du temps. Dans ces conditions, il est assez naturel que l’autorité impériale ait dit aux plaignans : « Débrouillez-vous ensemble ! »

Justement, à l’époque où Augustin occupait le siège d’Hippone, Théodose venait d’étendre encore les prérogatives juridiques des évêques. Le malheureux juge était débordé par les procès. Quotidiennement, il donnait audience jusqu’à l’heure de son repas et, quelquefois, toute la journée, quand il jeûnait. A ceux qui l’accusaient de paresse, il répondait :

— « Je puis affirmer, sur mon âme, que, pour ma commodité personnelle, j’aimerais beaucoup mieux, à certaines heures de la journée, comme cela est établi dans les monastères bien réglés, m’occuper de quelque travail manuel et avoir le reste du temps libre pour lire, pour prier, pour méditer sur les Lettres divines, que de me voir embarrassé dans les complications et les ennuis des procès !... »

La coquinerie des plaideurs l’indignait. En chaire, il leur adressait des conseils pleins de sagesse chrétienne, mais qui devaient être médiocrement goûtés. Un procès, selon lui, était une perte de temps et une cause de tribulation. Mieux valait donner de l’argent à son adversaire, que de perdre son temps et de compromettre sa tranquillité. Et ce n’était point encourager l’injustice, ajoutait bonnement le prédicateur : car le voleur serait volé à son tour par un plus voleur que lui.

Ces raisons paraissaient peu convaincantes. Les chicaneurs ne se décourageaient point. Au contraire, ils obsédaient l’évêque de leurs instances. Dès qu’il paraissait, ils s’approchaient en tumulte, l’entouraient, lui baisaient la main et l’épaule, avec des protestations de respect et de soumission, le pressaient, le contraignaient de s’occuper de leurs affaires. Augustin cédait. Mais, le lendemain, dans un prône véhément, il leur criait :

— « Discedite a me, maligni !... Eloignez-vous de moi, méchans, et laissez-moi étudier en paix les commandemens de mon Dieu ! »