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indices nous prouvent que rien de la vie rustique ne lui était étranger.

À cheval ou à mulet, il cheminait pendant des lieues dans la campagne d’Hippone, pour visiter ses vignes et ses olivaies. Il regardait, se renseignait, interrogeait les laboureurs, entrait dans les pressoirs et dans les moulins. Il connaissait le raisin bon à manger et le raison bon à faire du vin. Il signalait les silos creusés dans des terrains trop humides, ce qui exposait le blé à germer. En vrai propriétaire, il était au courant de la procédure, attentif aux termes des contrats. Il savait les formules usitées pour les ventes ou les donations. Il veillait à ce qu’on enterrât des charbons autour des bornes qui délimitaient les champs, afin que, si la borne venait à disparaître, on en retrouvât l’emplacement. Et, comme il était poète, il recueillait, en passant, tout un butin d’images agrestes qui égayaient ensuite ses homélies. Il empruntait des comparaisons ingénieuses aux citronniers « que l’on voit donner des fleurs et des fruits toute l’année, si on les arrose constamment, » — ou bien à la chèvre, « qui se dresse sur ses deux pieds de derrière, pour brouter les feuilles amères de l’olivier sauvage. »

Ces promenades au grand air, si fatigantes qu’elles fussent, étaient en somme un délassement pour son cerveau surmené. Mais, parmi ses fonctions épiscopales, il en était une qui l’excédait jusqu’au dégoût. Tous les jours, il devait écouter des plaideurs et rendre des arrêts. En vertu des récentes constitutions impériales, l’évêque jugeait en matière civile : besogne fastidieuse et interminable dans un pays où la chicane sévit avec fureur et obstination. Les plaideurs poursuivaient Augustin, envahissaient sa maison, comme ces fellahs aux burnous terreux qui encombrent nos prétoires de leurs guenilles. Dans le secretarium de la basilique, ou sous le portique de la cour attenant à l’église, Augustin siégeait, tel le cadi musulman dans la cour de la mosquée.

En soumettant les chrétiens à la juridiction de l’évêque,. les empereurs n’avaient fait que régulariser une vieille coutume des temps apostoliques. Suivant le conseil de saint Paul, les prêtres s’appliquaient à apaiser les différends entre fidèles. Plus tard, quand leur nombre se fut considérablement accru, les empereurs adoptèrent un système assez semblable à celui des « Capitulations » en pays de suzeraineté ottomane. Les procès