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j’ai refusé beaucoup de donations, mais j’en ai aussi accepté beaucoup. Faut-il vous les énumérer ? Je ne citerai qu’un exemple. J’ai accepté l’héritage de Julien. Pourquoi ? Parce qu’il est mort sans enfans... »

L’auditoire trouvait que son évêque était vraiment bien délicat.

Ils lui reprochaient encore de ne pas savoir attirer ni flatter les riches donateurs. Augustin n’admettait pas non plus qu’on forçât un étranger de passage à recevoir la prêtrise, et, par conséquent, à abandonner ses biens aux pauvres. Tout cela, au fond, était très sage, non pas seulement selon l’esprit de l’Evangile, mais selon la prudence humaine. Si Augustin, pour le bon renom de son église, ne voulait pas encourir l’accusation de cupidité et d’avarice, il ne craignait rien tant que les procès. Accepter à la légère les héritages et les donations qui s’offraient, c’était s’exposer à des chicanes dispendieuses. Mieux valait y renoncer que de perdre à la fois son argent et sa réputation. Ainsi se conciliait, dans cet homme de prière et de méditation, le bon sens pratique avec le haut désintéressement de la morale chrétienne.

L’évêque était désintéressé, ses ouailles étaient cupides. Le peuple de ce temps-là désirait que l’Église s’enrichit, parce qu’il était le premier à profiter de sa richesse. Or cette richesse consistait surtout en immeubles et en terres. Le diocèse d’Hippone avait à administrer de nombreuses maisons et d’immenses fundi, sur lesquels vivait toute une population d’artisans et d’esclaves affranchis, d’ouvriers agricoles et même d’ouvriers d’art, fondeurs, brodeurs, ciseleurs sur métaux. Dans les domaines de l’Église, ces petites gens étaient à l’abri de l’impôt et des recors du fisc, et sans doute, ils trouvaient le régime épiscopal plus doux, plus paternel que le régime civil.

Par une cruelle ironie, Augustin, qui avait fait vœu de pauvreté et donné aux pauvres son patrimoine, Augustin, élu évêque d’Hippone, devenait donc un grand propriétaire. Sans doute, il avait sous ses ordres des intendans chargés de faire valoir les biens du diocèse. Cela ne le dispensait point d’entrer dans le détail de l’administration et de surveiller ses agens. Il entendait les doléances non seulement de ses paysans, mais de ceux qui appartenaient à d’autres domaines et qui étaient rançonnés par des gérans malhonnêtes. En tout cas, mille