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veillée suprême du Divin Maître, le figuier de Milan vit tomber sur ses racines une sueur de sang. Augustin, haletant sous l’étreinte victorieuse de la Grâce, gémissait : « Jusques à quand ? Jusques à quand ?... Demain ? Demain ?... Pourquoi pas tout de suite ? Pourquoi pas, sur l’heure, sortir de mes hontes ?... »

A ce moment même, une voix d’enfant, venue de la maison voisine, se mit à répéter en cadence : « Prends et lis ! Prends et lis ! » Augustin tressaillit : qu’était-ce que ce refrain ? Était-ce une cantilène que les petits garçons ou les petites filles du pays eussent coutume de chanter ? Il ne s’en souvenait point, il ne l’avait jamais entendue... Aussitôt, comme sur un ordre divin, il se releva de terre, courut à la place où Alypius était toujours assis, et où il avait laissé les Epitres de saint Paul. Il ouvrit le livre, et le premier verset qui s’offrit à ses yeux fut celui-ci : Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et ne cherchez point à contenter les désirs de la chair ! La chair !... Le verset sacré le visait directement, lui Augustin, encore si charnel ! Ce commandement, c’était la réponse d’en haut !...

Il marqua du doigt le passage, ferma le livre. Ses angoisses avaient cessé. Une grande paix l’inondait : — tout était fini ! — D’un visage tranquille, il apprit à Alypius ce qui venait de s’accomplir, et, sans plus tarder, il entra dans la chambre de Monique, pour le lui dire aussi. La sainte n’en fut point surprise. Depuis longtemps, elle savait tout d’avance : « Là où je suis, là aussi tu seras. » Mais elle laissait éclater sa joie. Son message était rempli. Elle pouvait chanter son cantique d’actions de grâces et rentrer dans la paix de Dieu.

Cependant, le bon Alypius, toujours avisé et pratique, avait rouvert le livre et montré à son ami la suite du verset, que, dans son exaltation, il avait négligé de lire. L’Apôtre disait : Soutenez celui qui est encore faible dans la foi ! Cela aussi s’adressait à Augustin. C’était trop sûr : sa foi nouvelle était encore bien chancelante. Que la présomption ne l’aveuglât point ! Oui, sans doute, de toute son âme, il voulait être chrétien : il lui restait maintenant à le devenir.


LOUIS BERTRAND.