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un peuple de mendians. Souvent, la caisse diocésaine était vide. Augustin est obligé de tendre la main, de lancer, du haut de sa chaire, de pathétiques appels à la charité. Puis, ce sont des hospices à fonder pour les malades, une hôtellerie pour les indigens de passage. L’évêque installe ces services d’assistance dans des maisons léguées à l’église d’Hippone. Par économie, il évite les constructions nouvelles. Cela grèverait trop lourdement son budget. Ensuite, le plus gros de tous ses soucis, — l’administration des biens d’église. Pour augmenter ces biens, il exige que ses clercs renoncent à tout ce qu’ils possèdent en faveur de la communauté, donnant ainsi aux fidèles l’exemple de la pauvreté volontaire. Des particuliers il accepte aussi des donations. Mais il lui arrive fréquemment d’en refuser, par exemple celle d’un père ou d’une mère qui, dans un moment de colère, déshéritait ses enfans. Il ne voulait pas profiter des mauvaises dispositions des parens pour dépouiller des orphelins. Ou bien, il lui répugnait d’engager l’Église dans des procès avec le fisc, en recevant certains héritages. Un négociant d’Hippone lègue-t-il au diocèse sa part d’intérêts dans le service des bateaux de l’annone, Augustin est d’avis qu’il faut refuser cette part. En cas de naufrage, on serait obligé de rembourser au Trésor le blé perdu, ou bien, pour prouver que l’équipage n’est nullement responsable de la perte du bateau, de faire infliger la question au capitaine et aux matelots survivans. Augustin ne veut pas en entendre parler :

— « Voyez-vous, disait-il, un évêque armateur ?., un évêque tortionnaire ? Non, non, cela ne convient pas à un serviteur de Jésus-Christ ! »

Le peuple d’Hippone n’était point de cet avis. On blâmait les scrupules d’Augustin. On l’accusait de compromettre les intérêts de l’Église. Un jour, il dut s’en expliquer en chaire :

— « Je sais bien, mes frères, que vous dites souvent entre vous : « Pourquoi personne ne donne-t-il rien à l’Église d’Hippone ? Pourquoi les mourans ne la font-ils pas leur héritière ? — C’est que l’évêque Augustin est trop bon, c’est qu’il rend tout aux enfans, c’est qu’il n’accepte rien. » Je l’avoue, je n’accepte que les donations qui sont bonnes et pieuses. Quiconque déshérite un fils pour faire l’église son héritière, qu’il cherche quelqu’un qui veuille accepter ses dons. Ce n’est pas moi qui le ferai, et, grâce à Dieu, je l’espère, ce ne sera personne... Oui,