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Lui qui avouait un penchant secret à la mollesse épicurienne, n’allait-il pas, sous le couvert de la piété, continuer à vivre en dilettante et en voluptueux ? L’action, seule, pouvait le sauver de l’égoïsme. D’autres, sans doute, satisfont à la loi de charité, en priant, en se mortifiant pour leurs frères. Mais, quand on a, comme lui, des facultés extraordinaires de persuasion et d’éloquence, une telle vigueur de dialectique, une culture si étendue, tant de puissance contre l’erreur, — n’est-ce point offenser Dieu que de négliger ses dons, et n’est-ce point manquer gravement à la charité que de refuser à ses frères le secours d’une pareille force ?

En outre, il savait bien qu’on ne va pas à la vérité sans un cœur purifié. Ses passions, si violentes, n’allaient-elles pas, après un moment de répit, le tourmenter avec plus de frénésie qu’avant sa conversion ? Pour cela encore, l’action était le grand remède. Il vit dans les obligations de l’épiscopat un moyen d’ascèse, — une sorte de purification héroïque. Il s’accablerait volontairement de tels soucis et de tels travaux qu’il n’aurait plus le temps d’écouter la voix perfide de ses « vieilles amies. » Réussit-il à les faire taire tout de suite ? Cette grâce inouïe lui fut-elle accordée ? Ou bien la lutte se poursuivit-elle dans le secret de sa conscience ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que ces terribles passions, qui avaient bouleversé sa jeunesse, il n’en est plus question dans sa vie. Depuis qu’il est tombé à genoux sous le figuier de Milan, son cœur de péché est comme mort. Il s’est délivré de presque toutes les faiblesses du vieil homme, non pas seulement de ses vices et de ses affections charnelles, mais de ses défauts les plus excusables, — à part, peut-être, un vieux reste de vanité littéraire et intellectuelle.

Au premier aspect, ses livres ne nous révèlent plus, en lui, que le docteur et, déjà, le saint. Ce qu’on y voit d’abord, c’est une intelligence toute nue, une âme toute pure, embrasée du seul amour divin. Pourtant le cœur aimant et tendre, qu’il avait été, échauffe toujours ses discussions et ses exégèses les plus abstraites. On ne tarde pas à en sentir la chaleur, la puissance d’effusion, Augustin n’y prend pas garde. Il ne pense plus à lui, il ne s’appartient plus. S’il a accepté l’épiscopat, c’est pour se donner tout entier à l’Église, pour être tout à tous. Il est l’homme-verbe, l’homme-plume, le porte-parole de la Vérité. Il devient l’homme des foules misérables sur qui le