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une de ses pénitentes, dont il cherchait à obtenir les faveurs. C’était alors la mode, entre dévots, d’échanger des eulogies, ou pains bénits, en signe de communion spirituelle. Augustin aurait mêlé -des ingrédiens magiques à quelques-uns de ces pains offerts hypocritement à la femme dont il était épris. Cette accusation excita un gros scandale, dont le souvenir persista longtemps, puisque, cinq ou six ans plus tard, le donatiste Pétilianus la répétait encore.

Augustin se disculpa victorieusement. Mégalius reconnut son erreur. Il fit mieux : non seulement il s’excusa auprès de celui qu’il avait calomnié, mais il demanda solennellement pardon à ses collègues de les avoir abusés sur de faux bruits.. Probablement que, dans l’intervalle de l’enquête, il avait appris à mieux connaître le collaborateur de Valérius. Le charme d’Augustin, joint à l’austérité de sa vie, agit sur le vieillard chagrin et modifia ses dispositions. Quoi qu’il en soit, c’est par Mégalius, évêque de Guelma et primat de Numidie, qu’Augustin fut sacré évêque d’Hippone.

Il était consterné de son élévation. Il l’a dit et redit maintes fois. Nous pouvons l’en croire sur parole. Cependant les honneurs et les avantages de l’épiscopat étaient alors si considérables, que ses ennemis purent le représenter comme un ambitieux. Rien ne s’accordait moins avec son caractère. Au fond, Augustin n’aspirait qu’à demeurer en repos. Depuis sa retraite à Cassiciacum, il avait renoncé à la fortune comme à la gloire littéraire. Son unique désir était de vivre dans la contemplation des vérités divines, de se rapprocher de Dieu : « Videte et gustate quam mitis sit Dominus, voyez et goûtez combien le Seigneur est doux ! » C’est peut-être, de toute l’Écriture, le verset qu’il préfère, celui qui répond le mieux au vœu intime de son âme, celui qu’il cite le plus souvent dans ses sermons. Ensuite, étudier les Saintes Lettres, en scruter les moindres syllabes, puisque toute vérité y est contenue, — une vie entière n’est pas de trop pour un pareil labeur. Pour cela, il fallait briser toutes les attaches avec le monde, se réfugier farouchement dans la solitude du cloître.

Mais ce chrétien sincère s’an8i.lysaitavec trop de clairvoyance, pour ne pas reconnaître qu’il y avait, en lui, une tendance dangereuse à l’isolement. Il goûtait trop de plaisir à se retrancher de la société des hommes, pour s’ensevelir dans l’étude et la contemplation.