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quelques ermites. Ils entrèrent, aperçurent un livre, la Vie de saint Antoine. Ils le lurent, et ce fut, pour eux, la conversion foudroyante, instantanée. Résolus à se joindre sur l’heure aux solitaires, les deux courtisans ne reparurent point au Palais. Et c’étaient des fiancés !...

Le ton de Pontitianus, en rapportant ce drame de conscience, dont il avait été témoin, trahissait une émotion singulière, qui se communiquait à Augustin. Les paroles du visiteur résonnaient en lui comme des coups de bélier. Il se reconnaissait dans les deux courtisans de Trêves. Lui aussi, il était las du monde, lui aussi il était fiancé ! Allait-il faire comme l’Empereur, rester au cirque, occupé de vains plaisirs, tandis que d’autres se tournaient vers l’unique félicité ?

Lorsque Pontitianus se retira, Augustin était dans un trouble inexprimable. L’âme repentante des deux courtisans avait passé dans la sienne. Sa volonté se dressait douloureusement contre elle-même et se torturait. Brusquement, il saisit le bras d’Alypius et lui dit avec une exaltation extraordinaire :

« — Que faisons-nous ? Oui, que faisons-nous ? N’as-tu pas entendu ? Les ignorans se lèvent, ils ravissent le ciel, et nous, avec nos doctrines sans cœur, voilà que nous nous roulons dans la chair et le sang ! »

Alypius le regardait avec stupeur : « C’est qu’en effet, dit-il, mon accent avait quelque chose d’insolite. Mon front, mes joues, mes yeux, mon teint, l’altération de ma voix exprimaient ce qui se passait en moi, bien plus que mes paroles. » S’il pressentait, à cet émoi de sa chair, l’imminence de la céleste approche, il n’éprouvait, en cet instant, qu’une violente envie de pleurer, et il avait besoin de solitude pour pleurer en liberté. Il descendit au jardin. Alypius, inquiet, le suivit de loin, s’assit en silence, à côté de lui, sur le banc où il s’était arrêté. Augustin ne remarqua même point la présence de son ami. Son agonie intérieure recommençait. Toutes ses fautes, toutes ses souillures passées se représentèrent à son esprit, et, sentant combien il leur était encore attaché, il s’indignait contre sa lâche faiblesse. Oh ! s’arracher à toutes ces vilenies ! En finir une bonne fois !... Soudain, il se leva. Ce fut comme un souffle de tempête qui passait sur lui. Il se précipita au fond du jardin, tomba à genoux sous un figuier, et, la face contre terre, il éclata en sanglots. De même que l’olivier de Jérusalem qui abrita la