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sa fête en lui offrant un petit bouquet cueilli dans le jardin de son logement. L’Empereur le remercia et lui demanda : « Faut-il partir ? » Bazaine, surpris, répondit qu’il ne savait rien de ce qui se passait en avant, et engagea Sa Majesté à attendre. Cette réponse parut plaire. Se tournant vers les officiers de sa maison, l’Empereur dit de manière à être entendu de tous : « Messieurs, nous restons, mais que les bagages demeurent chargés. »

Les troupes, tristes et abattues, continuaient à défiler sur la route devant l’auberge sans pousser un vivat. A la vue des livrées reluisantes et des fourgons attelés de la maison impériale, ils échangeaient des quolibets désobligeans. L’Empereur avait perdu toute autorité morale sur l’armée. Il n’était que temps qu’il s’éloignât.

Il n’y avait pas à Gravelotte de place pour les chevaux ; Bazaine s’installa dans la maison de poste, située à 1 kilomètre de Gravelotte, où il y avait de larges écuries. Il maintint l’état-major près du quartier impérial, afin que l’Empereur put, sans perdre un moment, connaître les dépêches ou avis.

Le plan adopté par Bazaine, approuvé par l’Empereur et notifié de Longeville par Jarras aux commandans de corps d’armée, s’adaptait à l’incertain des circonstances. On était dans une nuit obscure. On ignorait où était l’ennemi et on le supposait gravitant autour de nous, prêt à nous assaillir en nombre très supérieur. Mais d’où viendrait-il ? Est-ce de Briey ? Est-ce de la Moselle par Ars et Gorze ? Essayerait-il de s’interposer entre Metz et nous et de nous couper de la place ? Viendrait-il de la Meuse ? Aujourd’hui, les cartes sous les yeux, nous savons à quoi nous en tenir. A ce moment, il était impossible de discerner quelle serait la marche adoptée par les Allemands. Toutes étaient également à prévoir. Que faire dans une telle situation ? Bazaine savait que nos premiers revers tenaient à une dissémination insensée de nos forces. Selon le précepte de Napoléon, qui a tant recommandé l’action par grandes masses, il concentra ses corps d’armée en deux groupes : l’un sur la route de Mars-la-Tour, l’autre sur celle de Conflans, pouvant à tout instant se réunir, former un tout. Deux divisions de cavalerie, Forton et Du Barail, jetées en avant, les couvriraient et donneraient l’alerte en indiquant de quel côté il faudrait se concentrer. « D’après cet ordre de marche, l’armée était prête à se former sur deux lignes par un à gauche ou un à droite selon le flanc sur