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la sienne : la statue sur le forum romain, l’estrade du haut de laquelle l’orateur avait parlé un langage si nouveau et si inattendu, les acclamations triomphales de la foule : « Victorinus ! Victorinus ! » Déjà, il s’y voyait lui-même. Il était dans la basilique, sur l’estrade, en présence de l’évêque Ambroise ; il prononçait, lui aussi, sa profession de foi, et le peuple de Milan battait des mains : « Augustin ! Augustin ! » Mais un cœur contrit et humilié pouvait-il se complaire ainsi à la louange humaine ? Si Augustin se convertissait, ce serait uniquement pour Dieu et devant Dieu ! Il repoussa bien vite la tentation... Néanmoins, cet exemple venu de si haut lui fit une très forte et très salutaire impression. Il y aperçut comme une indication providentielle, une leçon de courage qui le concernait personnellement.

A quelque temps de là, il reçut la visite d’un compatriote, un certain Pontitianus, haut fonctionnaire du Palais. Augustin se trouvait seul à la maison, avec son ami Alypius. On prit des sièges pour causer, et par hasard, les yeux du visiteur rencontrèrent les Epitres de saint Paul posées sur une table à jeu. La conversation partit de là. Pontitianus, qui était chrétien, célébra l’ascétisme et, en particulier, les prodiges de sainteté accomplis par Antoine et ses compagnons dans les déserts d’Egypte : c’était un sujet d’actualité. A Rome, dans les milieux catholiques, on ne parlait que des solitaires égyptiens, et aussi du nombre de plus en plus grand de ceux qui se dépouillaient de leurs biens, pour vivre dans le renoncement absolu. A quoi bon les garder, ces biens que l’avarice du fisc avait si tôt fait de confisquer et que les Barbares guettaient de loin ! Les brutes qui descendaient de Germanie s’en empareraient tôt ou tard ! Et même, en admettant qu’on pût les sauver, en garder la jouissance toujours précaire, est-ce que la vie d’alors valait la peine d’être vécue ? Il n’y avait plus rien à espérer pour l’Empire ! Les temps de la grande désolation étaient proches !...

Pontitianus, sentant l’effet de ses paroles sur ses auditeurs, en vint à leur conter une aventure tout intime. Il se trouvait à Trêves, où il avait suivi la Cour impériale. Or, un après-midi, que l’Empereur était au cirque, il se promenait aux environs de la ville, avec trois de ses amis, comme lui fonctionnaires du Palais. Deux d’entre eux, s’étant séparés des autres et errant dans la campagne, rencontrèrent une cabane habitée par