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Puisque les corps humains, temple du Saint-Esprit, revivront en gloire, on voudrait croire, avec Dante, que les hymnes, temples du Verbe, sont immortelles aussi et qu’elles retentiront encore dans l’éternité. Sans doute, parmi les vallons crépusculaires du Purgatoire, les âmes dolentes continuent à chanter le Te lucis ante terminum, de même que, dans les cercles d’étoiles, où tournent sans fin les Bienheureux, s’élancent à jamais les accens jubilatoires du Magnificat...

Même sur ceux qui ont perdu la foi, le pouvoir de ces hymnes est invincible : « Si tu savais, disait Renan, le charme que les magiciens barbares ont su enfermer dans ces chants !... Rien qu’à les entendre, mon cœur se fond ! » Le cœur d’Augustin, qui n’avait pas encore la foi, se fondait, lui aussi, en les entendant : « Comme j’ai pleuré, mon Dieu, à tes hymnes et à tes cantiques ! Comme j’étais exalté par les douces voix de ton Église ! Elles pénétraient dans mes oreilles, et la vérité se répandait dans mon cœur, et l’élan de ma piété rebondissait plus fort, et mes larmes coulaient, et cela me faisait du bien. » Son cœur se soulageait de son oppression, tandis que son esprit était ébranlé par la divine musique. Augustin aimait passionnément la musique. A cette époque, il conçoit Dieu comme le grand Musicien des mondes, et, bientôt, il écrira que « nous sommes une strophe dans un poème. » En même temps, les figures vivantes et fulgurantes des psaumes, par delà les métaphores banales de la rhétorique qui encombraient sa mémoire, réveil- laient, au fond de lui, son imagination sauvage d’Africain et lui donnaient l’essor. Et puis, l’accent si tendre de la plainte, dans ces chants sacrés : « Deus ! Deus meus !... O Dieu ! ô mon Dieu ! » La Divinité n’était plus une froide chimère, un fantôme qui se recule dans un infini inaccessible : elle devenait la possession même de l’âme aimante. Elle se penchait sur la pauvre créature meurtrie, elle la prenait dans ses bras, et elle la consolait avec des mots paternels.

Augustin pleurait de tendresse et de ravissement, mais aussi de désespoir. Il pleurait sur lui-même. Il voyait qu’il n’avait pas le courage d’être heureux du seul bonheur possible. De quoi s’agissait-il, en effet, pour lui, sinon de conquérir cette « vie bienheureuse, » qu’il poursuivait depuis si longtemps. Ce qu’il avait cherché à travers les amours, c’était le don total de son âme, c’était de se réaliser complètement. Or, cette plénitude de