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Bazaine a pris et exercé le commandement de l’armée du Rhin au milieu de difficultés inouïes, qu’il n’est responsable ni du désastreux début de la campagne, ni du choix des lignes d’opération. » Un généralissime, d’ordinaire, a des mois et des jours pour mûrir ses projets ; lui, dans vingt-quatre heures à peine, devra se mettre au courant de la situation de tous ses corps d’armée, prévoir celle de l’ennemi, opérer en hâte le passage toujours difficile d’une rive du fleuve à l’autre.

Les conditions dans lesquelles le pouvoir lui est remis en rendent l’exécution plus difficile. Par suite d’une de ces violations des règles du bon sens, dont on ne tint jamais compte à l’état-major de l’armée du Rhin, Mac Mahon fut mis sous ses ordres. Mac Mahon échappait par son éloignement à l’action régulière et éclairée de Bazaine ; en donnant à celui-ci le souci de conduire une armée hors de sa portée, on lui imposait une tâche impossible ; il eût fallu créer deux commandemens séparés. En outre, quoique généralissime, Bazaine ne devint pas omnipotent. L’Empereur lui conféra le titre et lui attribua le pouvoir d’agir directement, seul, sur les corps d’armée et sur les chefs de services spéciaux, mais il ne se considéra pas comme dépouillé lui-même de la qualité d’imperator, c’est-à-dire de chef suprême de l’armée aussi bien que de toutes les parties de l’Etat. Il entendit demeurer maître de diriger le généralissime, qui, tout-puissant vis-à-vis de ses inférieurs, restait vis-à-vis de lui un subordonné. C’est ainsi que Bazaine comprit sa situation : « Je ne croyais pas que l’Empereur partirait, et j’étais là comme un sous-ordre ; je me regardais comme son lieutenant, et, par déférence pour lui, par habitude de lui obéir, je n’ai pas songé à lui rien demander, »

Il ne lui demanda même pas de lui donner un chef d’état-major de son choix, et il accepta, sans mot dire, celui qu’on lui imposa, le général Jarras. C’est cependant chose de première importance que le choix d’un major général. Son influence sur la bonne ou la mauvaise conduite des opérations ne saurait être exagérée. Une des causes du malheur de Napoléon, à Waterloo, fut qu’il eut, à côté de lui, Soult qui, quoique fort expérimenté, ne remplaça qu’imparfaitement l’incomparable Berthier. Bien multiples et bien difficiles à réunir dans un seul homme sont les qualités de vivacité, d’intelligence, de souplesse nécessaires à un chef d’état-major, mais la plus importante de