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revenue de son premier mouvement, se prononça ouvertement contre lui, démentit qu’il eût rendu à Metz des services à la cause impériale et affirma que, des témoignages divers recueillis dans de nombreuses publications successives, elle avait acquis la conviction que la conduite du maréchal Bazaine fut toujours dominée par des considérations et des préoccupations personnelles. Il devint alors officiellement le bouc émissaire du parti, auquel on imputa toutes les catastrophes de la guerre.

Vous pouvez donc, chers lecteurs, sans être taxés de faire acte d’impérialisme, ne pas fermer systématiquement votre esprit aux rectifications de vérité que je vous proposerai, sur certains points, à la décharge du commandant en chef de l’armée du Rhin.


II

Le maréchal Le Bœuf annonça officiellement, le 13 au matin, à Bazaine, sa nomination de commandant en chef de l’armée du Rhin, signée la veille vers une heure et demie. On a prétendu que Bazaine était alors un vieillard hébété, incapable de remplir la tâche qu’on lui confiait. On n’est pas un vieillard à cinquante-neuf ans quand on n’est pas atteint d’infirmités précoces, et il n’en avait aucune. Je l’ai bien observé pendant les quelques heures où j’ai été assis à la même table de conseil, et il m’a paru robuste, dans la plénitude de ses forces physiques. Je n’ai pas pu me rendre compte aussi bien de son état intellectuel, car il ne prononça pas une parole, mais, à en juger par la manière dont il a gouverné la Garde impériale et par son intervention dans les premières phases de la guerre, il n’était pas plus hébété que vieillard, et, autant que ses forces physiques, il possédait ses forces d’esprit habituelles, sa finesse, sa mémoire, sa compréhension rapide, son activité, son sang-froid, son coup d’œil tactique, son aisance à se mouvoir au milieu des rouages compliqués de la machine militaire et à la faire mouvoir elle-même, pourvu que son champ ne fut pas trop étendu. Jamais général ne fut investi, dans des conditions plus terribles, du commandement en chef d’une armée, — trois batailles perdues, deux provinces envahies. Dans leur recours en grâce, ses juges le reconnaissent : « Nous vous rappellerons que le maréchal