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rendre compte de la véritable signification des événemens intérieurs. Ce qu’il dit de la guerre est autrement grave : « Dès l’ouverture de la campagne, on s’apercevait que nous n’avions même pas le nécessaire pour faire face à cette guerre entreprise sans motif sérieux et sans préparatifs suffisans[1]. » Ainsi, pour un maréchal de France, un soufflet reçu à la face du monde n’était pas un motif sérieux de guerre, et une armée, qui, au dire de Moltke, a, du 6 au 18 août, étendu sur le terrain 50 000 Allemands, manquait des moyens « nécessaires. » C’était donc par leur souffle, que nos soldats ont abattu tant d’ennemis ?

En réalité, mes sentimens personnels m’auraient amené à adopter, sans me donner la peine de les contrôler, les sentences consacrées. Si je ne l’ai pas fait, cela tient à mon habitude invétérée de ne tenir aucun compte de mes sentimens personnels dans mes appréciations historiques.

On serait encore dans l’erreur en supposant qu’innocenter plus ou moins Bazaine soit œuvre agréable au parti impérialiste. Ce parti lui a été très dur. L’Empereur, toujours généreux, avait été bon envers Bazaine comme envers Mac Mahon et Le Bœuf, et il lui écrivit : « Wilhelmshohe, 13 octobre 1870 : — Mon cher maréchal, j’éprouve une véritable consolation dans mon malheur en apprenant que vous êtes près de moi. Je serais heureux de pouvoir exprimer de vive voix les sentimens que j’éprouve pour vous et pour l’héroïque armée qui, sous vos ordres, a livré tant de combats sanglans et a supporté avec persévérance des privations inouïes. Croyez, mon cher maréchal, à ma sincère amitié. — N. »

Les violens du parti ne goûtèrent pas cette longanimité et ils criblèrent Bazaine d’attaques presque aussi emportées que celles de Gambetta. L’Empereur essaya en vain de les calmer. Il exprima à la maréchale Bazaine son déplaisir de n’être pas écouté : « Cambden place, Chislehurst, 18 mai 1871. — Madame la maréchale, je n’ai pas attendu votre lettre pour faire savoir à M. Paul de Cassagnac combien je désapprouvais ses attaques contre le maréchal. Malheureusement les journalistes ne veulent pas se soumettre aux recommandations qu’on leur adresse. J’espère néanmoins qu’ils comprendront tout ce qu’il y a de peu généreux à accuser un homme que poursuit une haine aveugle.

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