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ses forces actives et, pour cela, la loi inévitable à laquelle nous obéissons tous l’oblige à faire certains choix. On se rappelle le mot de Talleyrand qu’il faut être bien avec toutes les Puissances et mieux avec quelques-unes. Il y a là une condition de vie à laquelle personne n’échappe : l’Angleterre elle-même a renoncé à son « splendide isolement » d’autrefois. La visite qu’Alphonse XIII vient de nous faire est une indication de ses tendances personnelles et de celles de son gouvernement : c’est une des nombreuses raisons pour lesquelles nous en avons si hautement apprécié la valeur.

Nous souhaitons que le Roi emporte de cette visite un souvenir aussi satisfait que celui qu’il nous a laissé. Il a pu voir, à Paris même et à Fontainebleau, défiler devant lui nos régimens, opérer notre artillerie, manœuvrer notre cavalerie. Il aime ces spectacles militaires, où tout semble parler de guerre et, en réalité, tend au maintien de la paix. De tous les souverains de l’Europe, c’est peut-être aujourd’hui celui qui connaît le mieux la France, et la France gagne à être connue.


La paix de l’Europe a-t-elle couru, ces derniers jours, des dangers sérieux ? On a pu le craindre sans être pessimiste à l’excès et ceux qui, aujourd’hui, déploient la confiance et le courage de Panurge après la tempête peuvent parler du péril fort à leur aise maintenant qu’il est passé. S’il est passé pour longtemps, nul n’en sait rien. Après avoir vu se succéder rapidement un si grand nombre d’incidens imprévus, il serait téméraire de dire que la série en est définitivement close. Mais il est permis de croire que les plus mauvais jours sont écoulés et qu’après une période d’agitation et d’inquiétude, une période de calme relatif durera quelque temps. Les grandes Puissances, toutes sans exception, veulent la paix et les petites sont épuisées par la guerre. L’occasion semble donc bonne pour fixer le statut politique des Balkans. Le fixer pour toujours ? Non, certes ; on ne peut probablement faire que du provisoire sur un sol aussi remué ; nul ne saurait se flatter d’enchaîner l’avenir ; mais c’est beaucoup de pouvoir compter, dans le présent, sur quelque répit, et il semble bien que nous puissions y compter.

La prise ou, si l’on veut, l’occupation de Scutari par les Monténégrins a donné naissance à la dernière crise qui nous a agités. L’événement s’est produit pendant que nous écrivions notre dernière chronique : c’est à peine si nous avons pu en parler. Comment s’était-il passé, on le savait à peine. Le roi de Monténégro, qui est un merveilleux