Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sujet le sentiment, et presque un sentiment unique, dont les autres ne sont en quelque sorte que les accessoires ou les dépendances. Et ce sentiment enveloppe ou baigne tout l’ouvrage. Il en fait l’unité, la profondeur, et la monotonie.

La partition de M. Guy Ropartz est strictement conforme aux principes wagnériens. C’est dire assez que la symphonie et le leitmotif y sévissent. L’influence de M. d’Indy ne s’y trahit pas moins que celle de Wagner. Fervaal et Tristan se rencontrent ici. Les thèmes d’ailleurs, indépendamment de leur valeur représentative, ont souvent leur beauté spécifique. Outre qu’ils signifient, ils sont. Ils ne sont pas seulement en eux-mêmes : ils existent les uns par rapport aux autres ; autant qu’une vie personnelle, ils ont une vie de relation. Et sans doute le mode ou la forme particulière de cette vie, étant celle du leitmotif, n’a plus pour nous de secret. Les moindres ressorts nous en sont familiers ; que dis-je ! l’abus qu’on en a fait nous les a rendus fastidieux. Il faut du moins reconnaître qu’ils jouent ou qu’ils travaillent ici d’après toutes les règles du genre. Le mécanisme ou le système ne laisse rien à désirer.

Quelque chose heureusement, et de plus désirable encore, y vient s’ajouter et comble nos désirs : c’est le sentiment, l’émotion, l’âme enfin. Oui, le sentiment général et dominant, cette nostalgie qui sur tout le poème est répandue, la musique en est pénétrée tout entière. Elle l’exprime partout, avec autant de force, d’intensité, que de noblesse. Rien de vulgaire en elle, ou seulement de superficiel et de léger. Elle est profonde, elle est grave et souvent elle sait être tendre. La partition de M. Ropartz compte parmi celles, — aujourd’hui rarissimes, — qui redoublent chez un critique le regret de ne pouvoir faire des citations de musique ainsi qu’on en fait de poésie. Qui saura transposer dans les mots le charme des sons, de quelques sons : par exemple des premières mesures du premier acte, où tout de suite, l’orchestre et les voix, les deux voix de Tual convalescent et de Kœthe qui le soutient, suffisent à donner comme le ton et la couleur générale de l’idylle tragique à peine commencée. Que de pages on aimerait de signaler encore, ou de mesures seulement ! Rien que dans ce dialogue du premier acte, que d’accens, tantôt de tendresse douce, et tantôt de passion véritable ! Enfin et surtout il se pourrait qu’au second acte, le très long, très libre, très varié monologue de Tual, regrettant sa Bretagne, fût une chose admirable et méritât une place d’honneur, au-dessous du monologue de Tristan moribond, dans un ordre qu’on appellerait celui des chefs-d’œuvre de la mélancolie...