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le paraît encore. Premièrement, le rôle de la symphonie, et ce rapport entre elle et la voix, dont personne peut-être, pas même Wagner, n’a déterminé la nature et les conditions avec plus de justesse. Il semble que du premier coup, — un épisode de ce genre ayant été jusque-là sans exemple, — les deux élémens aient trouvé dans le Freischütz leur parfait équilibre et leur concert harmonieux. La voix et la symphonie sont ici tour à tour, quand ce n’est pas ensemble, ouvrières de beauté, de la beauté la plus originale et la plus diverse. Toute la partie orchestrale de la Wolfschlucht constitue un trésor inépuisable de formes et de forces, de mouvemens, de rythmes et de timbres. Chaque page, et presque chaque paragraphe, la fonte de chacune des balles, a son caractère et son coloris. Rien ne traîne en longueur et rien n’est écourté. Avec cela, tout est mélodique, tout chante, les instrumens comme la voix, et celle-ci, même alors qu’elle parle, ajoute encore à tant d’effets musicaux son effet, rien que sonore, mais singulièrement pathétique, de froideur et de nudité.

Tout a paru nouveau, disions-nous, dans le Freischütz tel qu’on vient de le reprendre. Tout, y compris le dialogue, heureusement rétabli, qui rend au chef-d’œuvre son charme, sans lequel il n’est pas tout lui-même, de candeur et de naïveté. Ajoutez qu’à notre époque de musique surabondante et qui littéralement nous étouffe, plusieurs d’entre nous éprouvent comme une tendresse rétrospective pour le bon vieux genre d’autrefois, ce genre mixte, où la musique, tempérée par la parole, nous laissait quelque relâche et nous permettait çà et là de respirer. Enfin, la nouveauté par excellence de ce chef-d’œuvre à peu près centenaire, c’en est la grâce, l’aisance, la fraîcheur, avec un naturel que rien ne flétrira ; c’est le don de plaire et d’émouvoir tout de suite. Oui, tout de suite, et pour si peu ! Pour trois notes, ou quatre. Ne les comptions-nous pas tout à l’heure ? Mettons- en cinq et, si vous voulez, que ce soit les cinq notes initiales, déjà citées, de l’air de Max au premier acte : « Durch die Walde, par les bois. » Elles n’ont pas même besoin des paroles, ces notes-là, par elles seules expressives et toutes-puissantes. Qu’elles résonnent, qu’elles chantent seulement à l’orchestre, et nous voilà gagnés, ravis, et le royaume et le mystère des sons devant nous se découvre ; alors, une fois de plus, nous reconnaissons combien est juste cette définition de l’art véritable, en deux mots qu’on ne saura jamais trop répéter et qui suffisent : supérieur et prochain.


C’est une œuvre supérieure assurément que celle dont nous avons