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le définir. M. Boschot, dans l’ouvrage par nous cité maintes fois, s’est acquitté de ce soin. En tout cas, et cela soit dit en manière de conclusion, après avoir entendu Benvenuto, l’on peut douter encore si l’œuvre la plus fougueuse et la plus exubérante, la plus fiévreuse et la plus extraordinaire, la plus romantique, enfin la plus berlioziste ou berliozienne de Berlioz, est la Symphonie fantastique, ou Harold en Italie, ou le Requiem, ou Roméo et Juliette, ou la Damnation de Faust ; on a du moins la certitude que cette œuvre-là n’est pas Benvenuto.


Mais le Freischütz demeure assurément le chef-d’œuvre, sans égal et sans pareil, du romantisme sincère, profond, ingénu, que fut le romantisme allemand. Chef-d’œuvre national, et pourtant qui n’a rien d’étroit, encore moins d’hostile ; chef-d’œuvre universel, que, sans nulle contrainte et sans aucun sacrifice, sans rien abdiquer ni rien forcer de soi, chacun de nous, de nous tous, l’ignorant au cœur simple et même le savant, s’il ne s’enorgueillit pas de sa science, peut comprendre et peut admirer.

Oui, dans l’histoire entière de l’opéra, de l’opéra de tous les temps et de tous les pays, le Freischütz est unique. Il l’est d’abord parce que la musique y donna pour la première fois la plus grande place, et, si le mot ne sentait un peu trop le théâtre, nous dirions le principal « rôle, » à la nature. A côté du Freischütz, la plupart des drames lyriques antérieurs, — et nous ne parlons que des chefs-d’œuvre, — nous font un peu l’effet de se passer, tantôt (comme ceux de Gluck) dans un temple, tantôt (ceux de Mozart) dans un salon, à moins (rappelez-vous le Fidelio de Beethoven) que ce ne soit dans une cave. Il arrive sans doute qu’un souffle du dehors les traverse et les embaume ; mais le chef-d’œuvre de Weber, le premier, baigne presque tout entier dans l’air ; autant, sinon plus qu’une action, il est un paysage en musique.

Il l’est à chaque instant. Il l’est dès les premières mesures. Avec quelle grandeur, et pourtant quelle intimité, quel mystère, le chant des quatre cors, au début de l’ouverture, en témoigne. Ailleurs, jusque dans les moindres détails et comme dans les coins les plus cachés, partout la nature est présente. Il suffit, non pas même d’une phrase, mais de quelques mesures, de quelques notes, pour nous la rappeler. Entre le récitatif qui précède le premier air de Max, et cet air, un appel de clarinette prépare le coloris de l’admirable cantilène, où la musique, à la fois large et précise, va nous rendre vraiment sensibles ces bois et ces plaines, que la parole ici nomme d’abord (« Durch die Walde,