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l’orchestre. Le mois dernier, quand on l’entendit au théâtre pour la première fois, chanté par Benvenuto sur ces paroles : « Teresa, vous que j’aime plus que ma vie, » on s’étonna de reconnaître à peine la mélodie, si connue, si admirée, et depuis si longtemps, sous une autre apparence. On n’en retrouvait plus ni la couleur, ni la forme elle-même ; avec le timbre des sons, leur charme s’était perdu. L’orchestre heureusement vint peu après le leur rendre. Alors il nous émut de nouveau, le thème lointain, mystérieux, que M. Boschot a si bien qualifié de nostalgique. Avant la Rome du carnaval, il semble en évoquer une autre, asile sacré du silence, de la solitude et de la mélancolie. Il y a plus : le thème pittoresque est également un thème pathétique ; il va au cœur parce qu’il vient du cœur ; autant qu’un paysage, une âme vit, respire, soupire en lui. Et ce n’est pas la moindre prouve du génie symphonique ou instrumental de Berlioz, qu’il ait su donner à l’un de ses chants, par la voix de l’orchestre mieux que par une voix humaine, l’accent et comme le son même de l’humanité.

Une dernière question pourrait se poser à propos de Benvenuto : quelle est la part et quels sont les signes du romantisme dans cette œuvre du plus romantique des musiciens ? La part, il la voulut, ou plutôt il la rêva très grande. « Imaginant son héros à travers les Mémoires de Cellini, récemment traduits et fort sympathiques aux Jeune-France ; l’imaginant aussi à travers certains contes d’Hoffmann, Berlioz faisait de Benvenuto un autre Berlioz : c’était encore un frère de cet Artiste qui avait déclamé dans le Retour à la vie, un frère d’Harold, un héros indiscipliné, révolté, ravagé par les passions aux griffes de vautour, traqué par les gens en place et raillé par les stupides bourgeois, — un véritable héros 1830, un artiste enfin[1]. » Ce n’est pas tout. Un autre article du Credo romantique prescrivait alors le mélange, au besoin la confusion des genres, à la Shakspeare : l’alternance du comique, voire du burlesque, avec le plus noble lyrisme. Berlioz encore se piqua d’introduire en son Benvenuto cette nouveauté. Nous y sommes peu sensibles aujourd’hui. Et le reste, qu’il y prétendait mettre aussi, nous échappe également. Romantique, et d’un romantisme superficiel, artificiel, le sujet l’est peut-être, et le livret : par l’idée, du moins, et les intentions, car le style !... Quant à la musique, elle nous paraît manquer étonnamment des caractères où se reconnaît le mieux le romantisme proprement musical. La place nous fait défaut aujourd’hui pour l’analyser ou seulement

  1. M. Ad. Boschot, op. cit.