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ou de concourir, n’a pas non plus toujours l’intérêt, la nouveauté, l’importance et le rôle enfin qu’on pouvait attendre. Mais aussitôt que, se sentant seul, il se donne carrière, alors, et tout de suite, le génie instrumental de Berlioz éclate. Italienne à demi par le principal thème, l’ouverture est personnelle déjà par la verve, l’emportement et le coloris sonore. Mais elle n’est rien auprès d’une autre, jouée en guise de prélude avant le second acte, et depuis longtemps connue, célèbre même, sous le nom d’ouverture du Carnaval romain. Celle-ci ne fut composée que six ans après le reste de l’ouvrage, en 1844. Berlioz, ayant rouvert un jour la partition de Cellini pour en faire exécuter un fragment au concert, se sentit en quelque sorte pris, ou repris d’amour, de pitié aussi, pour quelques-uns de ces chants, condamnés autrefois, et si vite, au silence, et qui sans doute, sur le théâtre, ne chanteraient jamais plus. Il en choisit deux, parmi ceux qui lui plaisaient, le touchaient davantage, et par l’orchestre, ou dans l’orchestre, il résolut de leur rendre la voix et la vie. L’orchestre ! Berlioz alors pouvait se croire à la veille de le conquérir. Dans ce domaine, dans ce royaume, objet de ses ambitions et de ses rêves, il avait conscience d’entrer et de s’établir en maître. Il venait d’achever et d’imprimer son grand Traité d’instrumentation. La transcription de l’Invitation à la valse avait reçu, même du public, un favorable accueil. L’orchestre, l’orchestre seul, était capable de consoler le grand artiste méconnu, de le défendre, de le venger peut-être. Sur le socle de son Persée de bronze, vainqueur enfin de l’envie et de la haine, Benvenuto, le héros de l’opéra malheureux, n’avait-il pas gravé ces mots : « Si quis te læserit, ultor ero. » Promesse pour l’artiste, menace contre ses ennemis, l’orchestre de Berlioz saurait bien reprendre un jour le fameux serment, et le tenir. Berlioz, en attendant, remit à l’orchestre l’avenir et la fortune de deux idées, de deux « motifs, » très différens, qui lui tenaient chèrement au cœur : le thème bondissant de la saltarelle romaine, et certaine phrase d’amour, chantée, dans un duo du premier acte, à Teresa par Benvenuto. De l’un, Berlioz fit l’allegro de sa nouvelle ouverture ; de l’autre, l’introduction ; de tous deux, un chef-d’œuvre de rêverie et de langueur d’abord, puis de mouvement et de folle joie. Très supérieur à l’ouverture primitive, l’allegro n’est comparable, dans l’œuvre entier de Berlioz, qu’au bal chez Capulet, de Roméo et Juliette. En liesse toutes les deux, Rome et Vérone se répondent. Ici et là, même verve, même éclat, mêmes « soleils tournans, » même feu d’artifice sonore. Quant à l’andante qui précède, c’est une pure merveille ; mais, privilège singulier, il n’est cela qu’à