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et les caractères, sur la valeur, musicale autant qu’expressive, de ce finale, centre, ou plutôt sommet, de Benvenuto[1]. Rien, dans notre musique française, n’y atteint ni peut-être même n’y ressemble, pour l’entrain et la verve, pour le naturel aussi, pour la puissance autant que pour la finesse, pour la poésie quelquefois, et toujours, et partout, pour la clarté. Cela est proprement à nous, ou de nous ; cela, pour le coup, nous donne une place, et bien nôtre, — que dis-je I cela nous l’assura d’avance, — entre le musicien des Maîtres Chanteurs et celui de Falstaff, en un genre, en un sujet qu’ils devaient traiter après nous. Oui, c’est de poésie, d’une poésie langoureuse, qu’est imprégnée l’ariette mimée par Arlequin sur les tréteaux de sa baraque, et chantée pour lui par un cor anglais et deux harpes. Exquise cantilène, que le pauvre Berlioz avait publiée autrefois dans un journal de modes (!) et qu’il reprend, qu’il transfigure ici. « Autour d’elle, les a parte des voix, très faibles, semblent un frémissement d’émotion ; le cor anglais lui prête sa douceur rêveuse. ; les deux harpes, pianissimo, lui font un frêle et tendre accompagnement, lumineux, aérien, qui flotte au-dessus du murmure de deux violoncelles mélancoliques[2]. » Au milieu de l’action tumultueuse, et qui marche, se précipite, c’est une halte, un repos délicieux. Et puis, au milieu d’une scène comprise, traitée, nous le disions, à la française, on surprend ici, dans la nuit romaine, un souvenir en effet, peut-être un regret de cette Rome, que Berlioz, pensionnaire de la villa Médicis, avait mal comprise en général et médiocrement aimée. Il en rapporta peu de chose : la Sérénade du montagnard, transcrite en son mélodrame de Harold, et, dans Benvenuto même, (avant-dernier tableau) certain refrain entendu naguère à Subiaco. Italienne aussi, parle sentiment au moins, sinon par le thème, l’ariette d’Arlequin nous paraît un peu la sœur, charmante et pensive, de l’une et de l’autre chanson.

Il est un Berlioz qui, dans Benvenuto Cellini, tantôt s’annonce et déjà s’affirme, tantôt ne se laisse en rien deviner : c’est le Berlioz symphoniste. On s’étonne qu’il ait manqué, ce qui s’appelle manqué, la scène de la fonte du Persée, au dernier tableau. Aucune autre pourtant ne paraissait devoir être mieux selon sa nature et, pour ainsi dire, à sa taille. Sans même l’ébaucher, il s’est dérobé devant elle. L’orchestre, au cours de l’ouvrage, alors qu’il se contente d’accompagner,

  1. Voir le second volume de la trilogie « berlioziste : » Un Romantique sous Louis-Philippe, par M. Ad. Boschot (p. 419 et suiv.), 1 vol. in-8 ; Plon.
  2. Ibid.