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bien. La forme, ou la coupe, est celle de l’époque : morceaux détachés (airs, duos, ensembles), reliés par un récitatif. Cette forme d’ailleurs n’est pas en cause : d’assez nombreux chefs-d’œuvre, et de tous les temps, ont démontré ce dont, au sens littéral du mot, elle est « capable. » Ici, malheureusement, elle est vide ; ou du moins, au lieu de créatures humaines, elle n’enveloppe, ne drape que des mannequins ou des fantoches. Le 20 septembre 1838, dix jours après la première représentation de son ouvrage à l’Opéra, Berlioz écrivait à son fidèle ami Humbert Ferrand : « Quand je vous dirai : « Cette partition est douée de toutes les qualités qui donnent la vie aux œuvres d’art, » vous pouvez me croire et je suis sûr que vous me croyez. La partition de Benvenuto est dans ce cas. »

Berlioz, une fois au moins, et cette fois, s’est trompé. La vie est ce qui manque le plus, — deux ou trois scènes toujours exceptées, — à cette partition de Benvenuto. Entendons-nous : la vie manque aux personnages isolés. Auprès de certain cardinal qui figure dans les dernières scènes, le cardinal Brogni, de la Juive, prend une valeur psychologique, un air d’humanité et de vérité. Les autres n’existent pas davantage en musique, ou par la musique. Quant aux paroles, mieux vaut n’en rien dire et se refuser à croire qu’un vers, un hémistiche, un mot de ce « poème » puisse avoir eu Vigny pour auteur. Mais, encore une fois, la musique n’a pas été créatrice ici d’un seul caractère, d’une seule ame. Certain Fieramosca, rival burlesque, ou qui voudrait l’être, de Benvenuto, sert tout au plus à nous convaincre que le sens du comique, l’esprit, le rire enfin, ne fut jamais le propre de l’homme qu’était Berlioz. Au surplus, après Benvenuto, Béatrice et Bénedict un jour devait confirmer ce témoignage. L’amoureuse Teresa n’est, elle aussi, qu’une silhouette, une ombre. Enfin et surtout, on peut s’étonner que le musicien romantique par excellence n’ait trouvé que de si pâles et si fades romances (témoin celle du dernier acte) pour exprimer le romantisme ardent, pathétique, exalté, du sculpteur florentin. « Bandit de génie, » c’est ainsi qu’il appelait volontiers le farouche, l’indomptable Benvenuto. Mais il ne l’a pas, tant s’en faut, représenté ainsi. Ou plutôt, et c’est à n’y pas croire, il ne la pas du tout représenté, Dans la galerie des contemporains (et des contemporaines) de ce héros d’opéra, pas un type, j’entends parmi les survivans, qui ne l’efface ou ne l’écrase : il suffit de citer, avant lui, Bertram de Robert le Diable, Valentine et Marcel des Huguenots, déjà nommés, et ; Rachel, et même Éléazar, de la Juive, et la Fidès du Prophète, onze années après lui. Ils vivent, tous ceux-là, ils vivent encore, d’une vie