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s’unir à Lui, — le posséder, jouir de Lui. Et, pour s’unir au Bien, il est nécessaire que l’âme se mette en l’état convenable pour une telle union, qu’elle se purifie et qu’elle se guérisse de toutes ses maladies charnelles, qu’elle reconnaisse sa place dans le monde et qu’elle s’y tienne. Nécessité de la pénitence, de l’humilité, du cœur contrit et humilié. Seul, le cœur contrit et humilié verra Dieu. — « Le cœur brisé sera guéri, dit l’Écriture, le cœur superbe sera mis en pièces. » — Ainsi, l’intellectuel qu’était Augustin devait changer de méthode, et il sentait que ce changement était juste. Si l’écrivain, pour écrire de belles choses, doit se mettre préalablement dans une sorte d’état de grâce, où non seulement des actions basses, mais d’indignes pensées lui deviennent impossibles, de même le chrétien, pour concevoir les vérités divines, doit purifier et préparer son œil intérieur par la pénitence et l’humilité. Augustin, en lisant saint Paul, se pénétrait de cette pensée. Mais ce qui l’émouvait surtout dans les Épîtres, c’en était l’accent paternel, la douceur, l’onction cachée sous la rudesse inculte des phrases. Il en était charmé. Quelle différence avec les philosophes ! — « Nulle trace, dans leurs pages si célèbres, ni de l’âme pieuse, ni des larmes de la pénitence, ni de ton Sacrifice, ô mon Dieu, ni des tribulations de l’esprit… Personne n’y entend le Christ qui appelle : « Venez à moi, vous tous qui souffrez ! » Ils dédaignent d’apprendre de Lui qu’il est doux et humble de cœur, car « vous avez caché ces vérités aux habiles et aux savans, et vous les avez révélées aux petits. »

Mais c’est peu de s’abaisser : il importe avant tout de se guérir de ses passions. Or les passions d’Augustin étaient, pour lui, « de vieilles amies. » Comment pourrait-il s’en séparer ? Le courage lui manquait pour cette médication héroïque. Qu’on songe à ce que c’est qu’un jeune homme de trente-deux ans. Il pensait toujours à prendre femme. La luxure le tenait par les liens inextricables de l’habitude, et il se complaisait dans l’impureté de son cœur. Quand, cédant aux exhortations de l’apôtre, il essayait de conformer sa conduite à la nouvelle méthode de son esprit, « les vieilles amies » accouraient pour le supplier de n’en rien faire : « Elles me tiraient, dit-il, par le vêtement de ma chair, et elles murmuraient à mon oreille : — Est-ce que tu nous quittes ? Quoi ! dès ce moment, nous ne serons plus avec toi, pour jamais ? Non erimus tecum ultra in æternum ?…