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malentendu, — je n’ai pas dit le quiproquo, — qu’elle occasionne. Les parens d’Huguette, M. et Mme de Kersalec, sont un ménage de vieille noblesse provinciale, comme on n’en voit plus guère qu’au théâtre : ce sont les derniers chouans. Tombant à l’improviste dans l’intérieur des Cermoise, ils sont scandalisés par ce décor et cette atmosphère de fête. Voilà ce que c’est que d’avoir donné sa fille à un de ces Parisiens corrompus ! Il pervertit la vertueuse Huguette ; il la condamne à mener une vie de patachon ! L’ahurissement de Cermoise sous ces reproches si injustifiés et devant ce renversement des rôles est tout à fait réjouissant et d’une drôlerie d’excellent aloi.

Cependant Huguette ne peut manquer de s’être affublée et coiffée d’un compagnon de fête : c’est le jeune Pressigny. Celui-ci est, de beaucoup, le meilleur rôle de toute la pièce : c’est un caractère, ou, tout au moins, une silhouette d’aujourd’hui. Il est d’une famille excellente, ancienne et presque illustre. Il y a eu des Pressigny dans l’armée, dans la marine, dans la diplomatie et qui, tous, ont honorablement servi leur pays. Le descendant de ces nobles Pressigny s’est fait, lui aussi, une réputation et une spécialité. Il est acteur mondain et conducteur de cotillon. C’est sa profession, son rôle social, sa raison d’être en ce bas monde. Pas un cotillon ne se danse sans lui, comme pas une bataille ne s’est livrée sans ses ancêtres. Et ces ancêtres mettaient moins d’importance et de vanité à lancer un escadron sur l’ennemi, qu’il n’en met à lancer une danse nouvelle. Pour le moment, il : lance dans les salons la valse chaloupée : aussi le verrons-nous tout à l’heure, costumé en apache, empoigner Huguette débraillée en fille des faubourgs et esquisser avec elle ce pas de bal public. Hier c’était, dans la pièce de M. Hermant, le tango ; voici maintenant une danse de barrière ; les vaudevillistes et les prédicateurs s’accordent à reconnaître que les danses à la mode sont le pire scandale de notre époque. Bien entendu, Pressigny profite du rapprochement très étroit avec sa danseuse serrée de près pour lui faire une déclaration. Il ne se gêne pas ; personne ne peut les entendre : il n’y a dans la pièce que l’accompagnateur qui est au piano et qui est sourd. Méfiez-vous, au théâtre, des accompagnateurs sourds ! Celui-ci a l’oreille particulièrement fine, car il est l’employé d’une de ces agences de police privée auxquelles ont recours les maris inquiets pour faire « filer » l’épouse qu’ils soupçonnent. Le faux sourd rapporte mot pour mot la conversation coupable à Cermoise qui flanque Pressigny à la porte.

Tout cet acte est charmant, mêlé d’observation et de fantaisie,