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le plaisir d’amertume. Mais au théâtre comme dans le roman, nous manquons aujourd’hui furieusement de romanesque. Le public ne nie pas qu’il n’y ait, dans la plupart des pièces qu’on lui donne, beaucoup de talent ; mais il s’y ennuie. Alors il va dans les bouis-bouis ou dans les cinémas. Un peu d’imagination, un peu de fantaisie, du mouvement, de l’entrain ! Cela ne se commande pas, je le sais, mais cela peut se demander. Le public le demande, à sa manière, en fêtant ce pauvre vieux drame usé, rapiécé, décoloré, délavé et qui produit encore son petit effet. Ainsi le succès du Bossu est une leçon à l’adresse de beaucoup de nos auteurs.

Le rôle de Lagardère est très difficile à jouer. Nous avons beau n’avoir pas vu Mélingue ; nous songeons à part nous : « Ah ! si nous avions vu Mélingue ! » Aucun acteur ne nous paraît de taille à soutenir la comparaison avec l’interprète génial que nous n’avons pas vu. Il est vrai aussi que nos artistes ne savent plus mêler les genres, comme faisaient les acteurs d’éducation romantique, et passer de la grandiloquence à la drôlerie. M. Joubé est meilleur dans le sublime que dans le comique. Je l’aime mieux quand il se redresse et se cambre en Lagardère, que quand il se courbe et frétille en bossu. Dans l’ensemble du rôle, il se montre une fois de plus comédien très intelligent et très souple M. Decœur est un Cocardasse suffisamment pittoresque et qui a plusieurs fois fait rire. M. Angelo (Gonzague) et M. Chameroy (Le Régent) tiennent très convenablement leur emploi. Mme Marie-Louise Derval, charmante de grâce mouillée de larmes, a dessiné avec un art parfait et une distinction rare le personnage touchant de Blanche de Nevers.


Maintenant, faisons-nous une âme candide et restituons en nous la simplicité des premiers âges, sinon du premier âge. Ces dispositions sont de rigueur pour écouter la Brebis égarée, étant celles mêmes où l’auteur s’est mis pour l’écrire. En soi ce drame n’est qu’une histoire d’adultère, et on ne peut pas dire qu’il en manquât dans notre théâtre. Mais peut-être aucune ne nous avait-elle encore été contée avec une ingénuité aussi dépouillée d’artifice. Ni composition, ni agencement et presque pas de dialogue. Une suite de scènes, une infinité de petites scènes où chaque personnage vient dire trois mots et puis s’en va : aussitôt la toile tombe... N’était-ce pas ainsi dans le théâtre de Shakspeare ?

Nous sommes dans le pays basque, aux environs d’Orthez, qui est le pays de M. Francis Jammes. Pierre achève son petit déjeuner. Il