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religion inspire tous ses actes : la fidélité à la parole jurée et jurée à un mourant. A tant de qualités s’en ajoutent d’autres qui, surtout chez nous, ne sont pas négligeables. La bravoure ne suffit pas, en notre pays de France, s’il ne s’y joint le piquant d’un esprit subtil. Donc ce lion est rusé comme un renard. Il s’introduit dans les maisons sous un déguisement et joue la comédie avec une perfection de professionnel. Il se dissimule derrière les paravens, surprend les conversations, échappe aux pièges qu’on lui tend et même y fait tomber ses adversaires, combine des plans qui auraient fait envie à Machiavel et dispose des souricières qui auraient fait rêver M. Lépine. Il a mille et un tours dans son sac et n’est jamais à court ni d’une parade, ni d’une galéjade. Il est du Midi, cela s’entend, proche parent de Tartarin, ce qui est encore une façon d’être de la famille de Don Quichotte.

Le crime est à la base de ce genre de pièces. Je le regrette, et il est bien fâcheux que les pièces populaires soient toujours des histoires de crimes. Ce prince de Gonzague, qui fait tuer Nevers pour épouser sa femme et veut faire disparaître Blanche pour capter son immense fortune, est un assassin doublé d’un faussaire et d’un escroc. Lagardère lui-même, à moins que ce ne soit Cocardasse, a le stylet un peu prompt et vous jette les gens à la Seine sans ombre de scrupule. Mais, reculées dans le passé, ces violences s’y estompent, comme les crimes dont la tragédie classique évoque le lointain souvenir. C’est de l’histoire. Comment en douter, puisque nous y voyons, en chair et en os, le Régent lui-même ? Finalement, le crime est puni, et la vertu est récompensée. Cela n’est pas d’une observation incontestable et d’une vérité au-dessus de toute discussion. Même on a pu prétendre que la continuité de l’histoire est faite de la série des crimes récompensés. Mais il est bon qu’il y ait, dès ce monde, un endroit où les traîtres sont confondus. Le mauvais quart d’heure que passent les coquins, au dénouement des drames, est une satisfaction, telle quelle, donnée à l’idée que nous portons en nous d’un châtiment nécessaire. L’important est qu’on n’égare pas notre jugement et que les canailles ne soient pas proposées à notre admiration. Tout vaut mieux que le spectacle d’escarpes sympathiques et de cambrioleurs du grand monde glorifiés par le moderne roman policier.

Le public a besoin de romanesque. Rien de plus légitime, après tout. Aller au théâtre pour y retrouver l’image de la médiocrité et de la monotonie quotidiennes, ouvrir un roman pour y remâcher ses propres souffrances, ce sont des joies de dilettante : on ne peut exiger de la masse des spectateurs et des lecteurs qu’elle en recherche