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pièces, de grandes visites ; mais les aventures, qui en forment la trame n’ont pas plus de vraisemblance que celles des mélodrames les plus fous et elles sont moins amusantes ; le monde dont on y étale les mœurs, généralement déplorables, ne ressemble en rien au monde où nous vivons ; les personnages, d’une psychologie exceptionnelle et même monstrueuse, y sont aussi éloignés de l’humanité moyenne que les traîtres et les héros du boulevard du Crime. Convention pour convention, le public préfère celle qui ne cherche pas à lui en imposer.

L’action est éperdument romanesque. Enlèvemens, séquestrations, substitutions de personnes, que sais-je encore ? Et aussi déguisemens, duels, coups de main. Tout cela se compliquant et s’enchevêtrant, en sorte que la suite et l’enchaînement n’apparaissent pas toujours, mais toutefois sans qu’on soit jamais plongé dans la fâcheuse obscurité. D’ailleurs, le tout lancé dans un tel mouvement qu’on n’a le temps ni de réfléchir, ni de respirer. A chaque instant, et alors qu’on croyait tout sauvé ou tout perdu, survient un incident imprévu qui nous rejette dans des péripéties nouvelles et dans un abîme d’angoisse. De temps en temps, et sans qu’il y ait à cela de raison appréciable, tout le monde met flamberge au vent et ferraille avec allégresse. Il y a de grands coups d’épée, et cela est écrit d’un méchant style, disait Mme de Sévigné des Anicet Bourgeois et des Paul Féval de son temps. Cela ne l’empêchait pas de s’y prendre comme à de la glu, et de s’amuser comme une petite fille. Nous de même.

Or, et ceci est essentiel, tout ce déploiement d’intrigues, tout ce luxe de complications, tous ces jeux du hasard, tous ces coups de la destinée sont dirigés contre un seul homme, dont l’énergie et la résolution ne faiblissent pas un instant. Un homme a, lui seul, entrepris de lutter contre la perfidie des méchans, l’injustice des grands, la cruauté du sort. Sans autres armes que son bon droit et sa bonne épée, il fait face à tous les dangers, tient tête à tous les adversaires et, à mesure que surgissent de nouvelles difficultés, invente des stratagèmes nouveaux. Mais le spectacle d’une énergie qui se tend pour la lutte, c’est cela même qui est le théâtre. Un héros contre qui s’acharne le monde entier et qui ne trouve de secours qu’en lui-même, c’est tout le théâtre de Corneille, qu’on a souvent qualifié d’être un d’Ennery supérieur.

Ce héros, Lagardère, a tout ce qu’il faut pour plaire. Il est gentilhomme, condition essentielle pour gagner les sympathies d’un auditoire où les petits bourgeois sont en majorité. Et il est pauvre, ce qui a toujours été synonyme d’être honnête. Ami du comte de Nevers, il l’est à la manière dont Pylade était l’ami d’Oreste. Une