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sont trois, et ils ont un nègre parmi eux, comme les trois Rois Mages. Mais la princesse les renvoie, eux, leurs complimens et leurs présens, à leur Aragon, à leur Illyrie et à leur Maroc. Encore que ce soient de beaux hommes, elle leur préfère à tous ce mal bâti de Riquet. Cela vaut bien une récompense. C’est pourquoi le Riquet, que nous voyons revenir sous ses habits du bon faiseur, n’est plus ni tortu, ni cagneux, ni bossu : c’est le Prince Charmant.

Tout cela est très gracieux, d’une grâce un peu enfantine relevée d’une pointe d’ironie. Et je ne prétends pas que le besoin se fit impérieusement sentir de mettre à la scène cette bluette, qui, je crois, dans sa nouveauté, avait été dédaignée par les directeurs de théâtre. Mais, puisque la Comédie-Française a voulu s’en passer la fantaisie, nous ne pouvons que la remercier de nous en avoir donné le plaisir délicat et innocent.

M. Georges Berr est un Riquet à la Houppe tout à fait remarquable et excellent diseur de vers. Le reste de l’interprétation est assez pâle.


Je n’avais jamais vu le Bossu. Je m’y suis beaucoup diverti, comme a fait aussi bien toute la salle. Ce n’était pas cette attention distraite par laquelle un public, décidé à tout subir, témoigne de son inépuisable bonne volonté. Ce n’étaient pas ces sourires forcés et ces applaudissemens de complaisance, où se contraignent des spectateurs désireux de se persuader à eux-mêmes qu’ils n’ont pas tout à fait perdu leur soirée. C’était un ample contentement, une émotion abondante, un épanouissement général, une franche satisfaction. Pourtant, l’œuvre date de plus de cinquante ans ; elle appartient à un genre qui n’est plus à la mode ; elle est d’ailleurs loin d’en égaler certains types tels que le Courrier de Lyon ou les Deux Orphelines ; elle n’a plus le secours et le prestige d’acteurs populaires. Beaucoup d’élémens qui jadis avaient fait son succès ont disparu ; beaucoup de sa saveur s’est évaporé. Et pourtant, tel qu’il est, ainsi dépouillé et réduit à sa plus simple expression, le vieux mélo plaît, intéresse, remue, attendrit, passionne. Cela vaut bien qu’on se demande pourquoi.

Il va sans dire que ce n’est pas de la littérature et que cela n’a aucun rapport avec aucune sorte de littérature. Oui, mais aussi cela n’y a aucunes prétentions. Ce n’est pas de la littérature, mais ce n’en est pas la contrefaçon. Et ce dont le public est fatigué par-dessus tout, c’est du semblant de littérature, des élégances en toc et des « fausses beautés » dont on le régale dans certaines pièces de théâtre qui n’ont de littéraire que leurs prétentions. Elles ont, ces